1 - Le contexte
Le héros est employé dans une société d’expertise dont l’honnêteté semble plus que douteuse et dont les objectifs s’affichent sans complexe comme purement financiers. Les auteurs du film (tout au moins le narrateur) nous laissent entendre que « tout fonctionne comme cela aujourd’hui ». Société moderne = Marché.
Le héros se décrit lui-même comme « accro » à la consommation de masse, un pion dans le système, un pantin bien obéissant.
Mais il souffre d’un symptôme qui va tout déclencher : des insomnies qui le jettent dans un état second, constamment entre le rêve et la réalité : il y a du jour dans ses nuits et par conséquent de la nuit dans ses jours. « Tout est une copie d’une copie d’une copie d’une copie…» En ce sens, déjà, on peut le considérer comme un « marginal », mais encore passif.
2 - Rencontre avec Bob : les groupes de discussion
Il s’agit de groupes d’entraide pour malades atteints du cancer (des testicules entre autres !). Notre héros est amené à les fréquenter suite au refus du médecin de lui administrer des médicaments pour soigner ses insomnies. En même temps cela va lui fournir l’occasion d’une première réaction, une première forme de libération. Il s’agit tout simplement de s’épancher librement, de « se laisser aller » dans les bras d’un inconnu ; en l’occurrence le gros Bob. Après cela « même un bébé ne dort pas aussi bien ». « Perdre tout espoir, c’était cela la liberté »… « C’était devenu pour moi une vraie drogue »… « Chaque soir je mourrais, chaque soir je renaissais »…
3 - La rencontre avec Marla « la grande touriste »
Marla est l’un des rares personnages féminins du film. Et d’emblée elle apparaît comme une intruse. D’autant plus que, à l’instar du héros, elle simule la maladie afin de profiter de l’hospitalité des groupes, ce qui a le don d’irriter le héros : en effet dès qu’il la croise dans un groupe, il ne peut plus se concentrer et s’abandonner ! Ils finissent par se « partager » les groupes afin de ne pas se gêner. Cependant Marla est un personnage qui cherche aussi sa vérité, qui a adopté une stratégie de « survie » dans ce monde odieux ; elle « surnage », elle semble « flotter »; livrée au hasard… A propos de Marla, le narrateur nous dit qu’« elle pouvait mourir d’un instant à l’autre ; ce qui était tragique c’est qu’elle ne mourait pas »…
4 - La rencontre de Tyler dans l’avion et la discussion dans le bar
Tyler apparaît comme l’antithèse de notre héros : totalement à l’aise en toute circonstance, d’un sans gêne absolu, volontiers vulgaire (« je présente mon cul ou ma queue ?»), évidemment beau gosse, et surtout un parfait cabotin !… Il commence d’ailleurs par railler les traits « hystériques » du narrateur… Et pourtant, nous sommes d’emblée frappés par une série de ressemblances entre lui et le narrateur (même attaché-case…)…
Le discours de Tyler apparaît premièrement comme une charge contre la « société de consommation ». Son métier : fabriquant et vendeur de savons, mais des savons fabriqués à base de graisse humaine (on l'apprend un peu plus tard) : féroce ironie ! Dans l’avion, il dénonce la Grande Illusion de la Sécurité (des issues de secours à 9000m d’altitude !), il raille les mensonges des compagnies aériennes, l’hypocrisie des gens. Dans le bar, il s’en prend plus particulièrement au consumérisme et finit par lâcher : « les objets qu’on possède finissent par vous posséder », « on est des sous-produits d’un mode de vie qui devient une obsession »…
Il faut dire qu’entre-temps notre héros a tout perdu : sa valise contenant ses effets personnels, et son appartement qui a sauté dans des circonstances troubles. Il n’a plus rien.
5 - Se battre. Le fight-club
La scène se déroulant à la sortie du bar est saisissante : « Je veux que tu me rendes un service. Frappe-moi aussi fort que tu le peux » ! Cette scène est le tournant du film, ou son vrai commencement, le début de la rédemption. Tout ce qui précède n’était que préliminaires. Ce qui frappe, c’est le cas de le dire, ce n’est pas tant la violence que la gratuité de cette demande : « pourquoi » frapper et se laisser frapper volontairement ? Ici le film délivre sa thèse principale : c’est à travers la violence, et la souffrance, que l’on se découvre soi-même. Retour aux instincts primitifs : c’est un passage obligé sinon un but en soi. « Comment peux-tu te connaître si tu ne t’es jamais battu ? ». « Frappe-moi, surprend-moi ! »
A partir de là, le fight-club s’organise et même se généralise, avec une règle principale répétée deux fois dans le règlement (elle n’est d’ailleurs pas respectée) : « Il est interdit de parler du fight-club ». Les combats clandestins se répandent comme une traînée de poudre à travers la ville, comme si les gens n’attendaient que cela depuis longtemps : « Tout le monde l’avait au bout de la langue, Tyler et moi nous lui avons simplement donné un nom». Comme si le phénomène était latent, comme si cette violence naturelle devait s’exprimer !
6 - La brûlure
Tyler va faire subir au héros une épreuve qu’il juge nécessaire, une sorte d’initiation par la douleur. Il lui brûle la main avec de la soude ! En lui tenant ces propos : « La souffrance est une illumination. (...) C’est le plus grand moment de ta vie, mec, et tu le fuis ? » Tyler expose alors ses vues métaphysiques, sa non-religion : « On est les enfants non désirés de Dieu : très bien ! » Autre version de la célèbre formule de Nietzsche : « Dieu est mort ». Et c’est une bonne nouvelle pour Tyler comme pour Nietzsche ! Il n’y a plus de religion pour nous inculquer de fausses valeurs, des « idées » contraires à la vie et à la joie de vivre ! Désormais il faut prendre en main sa destinée, sa propre rédemption, et « devenir ce que l’on est » (selon une autre phrase de Nietzsche, décidément très présent dans ce film) : un être vivant, une pure volonté de puissance ! Et il faut accepter de tout perdre (il n’est plus seulement question ici des biens matériels comme au début du film) : il faut perdre tout confort, abandonner tout plaisir facile, réveiller les sensations vives en soi (d’où la nécessité de souffrir). Tyler dit : « C’est seulement quand on a tout perdu qu’on est libre de faire tout ce qu’on veut ».
7 - La liberté retrouvée, une nouvelle vie
Une nouvelle vie où plus rien n’a d’importance - à part le fait de se battre, à part le fait d’exister, de se sentir vivre. Le héros vit désormais dans la maison de Tyler : « au bout d’un mois la télé ne me manquait plus ». Une nouvelle vie commence dans la plus totale anarchie. Relativisation, nivellement des valeurs de la civilisation matérielle, du travail : « Après un combat, tout le reste de la vie prenait beaucoup moins d’importance. (…) On pouvait supporter à peu près n’importe quoi. » L’attitude du héros (généralement timide, soumis, lâche) envers toute hiérarchie se transforme totalement : il envoie balader son patron, n’hésite pas à faire chanter la société pour laquelle il travaille… Il devient un puissant, un dominant !
Une nouvelle vie avec des pics d’intensité ayant pour nom unique : le Fight-Club ! « Nulle part on n’était plus vivant que là-bas » ! « Après nous nous sentions tous sauvés. »
8 - Et les femmes ?
On ne peut pas dire que les femmes soient très présentes dans le film, à part Marla (qui est comparée à une « tumeur » au début du film !) Encore moins dans les fight-clubs : il n’y en a aucune. L’explication est doute fournie lors d’un dialogue entre Tyler et le héros, où le premier déclare : « Nous sommes une génération d’hommes élevés par des femmes, je ne suis pas sûr qu’une autre femme soit une solution à nos problèmes. »
Entre notre héros, Marla et Tyler, s’établit un curieux « ménage à trois » : elle est l’ami du premier, mais couche avec le second - ce qui donne lieu à des scènes de sexe assez déjantées où Tyler apparaît vraiment comme un « super-héros » ! Rien ne résiste à Tyler. Tyler est apparemment misogyne, mais il rend aussi hommage à Marla : « Marla, au moins, elle essaie de toucher le fond ».
9 - Du fight-club au « Projet Chaos »
« Mais le fight-club n’existe qu’entre le moment du début et le moment de la fin du fight-club » est-il dit au début du film. Or justement la situation évolue car les fight-clubs se multiplient, tel un cancer ou un virus, inévitablement dès lors que les membres ont pour « devoir » de « provoquer la bagarre avec des inconnus ». Au point que c’est la société tout entière qui - souterrainement - devient un fight-club. Avec une évolution « politique » et idéologique notoire : les combats clandestins et privés deviennent une gigantesque et tentaculaire organisation terroriste totalement verrouillée. Un vaste complot dont seul Tyler détient le plan. Le mode de recrutement et de fonctionnement est para-militaire, l’obéissance (re-) devient une vertu essentielle ; ce n’est plus tant la libération de soi mais plutôt la soumission et le sacrifice de soi qui sont demandés ! L'organisation fonctionne comme une secte avec un leader ("Nous avions foi en Tyler"), une prison mentale qui exclut toute possibilité d'évasion. De plus le but devient clairement de détruire.
Bref, nous assistons incontestablement à une dérive dangereuse que l’on peut qualifier de « fascisante ». La violence elle-même devient impure, menaçante, oppressante… La scène avec Raymond, l'ex-étudiant asiatique sommé de reprendre ses études et d’aboutir à quelque chose (« sinon tu es mort »…) ne prête pas vraiment à rire. Ajoutons une scène de combat très violente (avec le blondinet) qui dépasse les bornes habituelles du fight-club et qui fera dire au héros : « J’avais envie de détruire quelque chose de beau. J’avais envie de tout salir d’une fumée bien noire ».
10 - L’évolution psychique du héros. Dénouement
On pourrait croire que, libéré des mesquineries de la société de consommation, notre héros se porte mieux psychiquement : ce n’est pas vraiment évident. Au début on le voyait simplement déprimer, mais au fur et à mesure apparaissent des signes de dissociation de la personnalité (Schizophrénie) de plus en plus évidents. L’identité du héros s’obscurcit : qui est-il ? quel est son nom (Cornélius ?) ? Parfois il se prénomme lui-même Jack, en rapport avec une lecture d’articles médicaux où les organes parlent, comme « Je suis la prostate de Jack », "Je suis le canal biliaire déchaîné de Jack", etc. Formules que le héros va reprendre tout au long du film pour tenter de décrire ses sentiments : cela signifie que son Moi va en s’effilochant, n’a plus de centre, n’est plus l’unique Sujet. Les psychiatres connaissent bien ce phénomène caractéristique de la psychose. Ce n’est pas seulement la démolition de la société que ce film nous raconte, mais également la démolition du Sujet : Table rase à tous les étages !
On commence à se douter plus ou moins que lui-même et Tyler ne sont qu’une seule et même personne…D'autant plus que, entre-temps, Tyler a mystérieusement disparu : volatilisé !
Survient pourtant un évènement où tout bascule à nouveau, dans l’autre sens, dans le sens du réel : Bob est abattu par des policiers lors d'une opération de sabotage. Le héros semble se réveiller, quitte un moment le personnage de Tyler, tente d’échapper à l’organisation parfaite qu’il a lui-même créée. Il y parvient plus ou moins à la fin du film mais… si lui-même retrouve sa personnalité, en retrouvant Marla, les destructions d’immeubles se produisent bien réellement ! Si Tyler était un fantasme, une projection mentale, le « projet chaos » lui n’était pas un rêve. Mais pour nous, heureusement, cela reste un film, une fiction !
dm
