Citoyenneté et démocratie

 


1) Différence entre République et Démocratie

La démocratie (demos : peuple, cratein : commander) signifie le gouvernement du peuple. Notons que le principe de la République, c’est que le peuple (« public », « chose publique ») est souverain, et plus seulement le Roi ; le principe de la démocratie, c’est que le peuple gouverne. La République est une forme d’Etat, opposée à la Royauté, qui institue et défend la « chose publique ». Tandis que la Démocratie est un mode de gouvernement, ou si l’on veut un « régime politique », opposé à la tyrannie. Dans son principe, la démocratie fait confiance aux forces de l’homme en tant qu’individu. Elle semble s’inspirer de la fameuse proposition de Descartes « la puissance de bien juger est... naturellement égale en tous les hommes.». Mais il existe bien des Républiques non-démocratiques (Etats totalitaires ou aux mains d’un dictateur paternaliste) comme encore des démocraties non-républicaines (des monarchies constitutionnelles et parlementaires).


2) Le problème de la représentation 

Dans le Contrat social (1762), Rousseau a bien mis en relief la nature du pacte démocratique: celui-ci doit exprimer la volonté générale, prenant pour objet les questions concernant le bien commun. Mais la voix de chacun doit être entendue : d’où l’idéal rousseauiste de la démocratie directe (comme à Genève au 18è). Seulement la démocratie est généralement représentative et non directe. Rousseau sera trahi par deux fois : 1) la volonté générale sera représentée, 2) la volonté générale sera majoritaire (la majorité l’emporte toujours). De plus, la loi devient de plus en plus l’œuvre des exécutifs, des administrations, des bureaucraties chargées de promouvoir “l’intérêt général” et chaque jour intervenant plus directement, plus spontanément au nom d’une plus grande efficacité. 

S’ajoute à cela que la démocratie en Europe a d’abord été faite par et pour un peuple de propriétaires, privilégiant la liberté de… propriété. Ce qui caractérise le libéralisme justement, c’est la distinction sur laquelle il repose entre, d’une part, la sphère de l’Etat, qui est celle de l’autorité politique, et la sphère de ce qu’on appelle la “société civile”. L’Etat, qui a affaire au bien public, ne doit pas, en bonne doctrine libérale, s’introduire dans les affaires privées. Mais, ainsi que Marx et d’autres le firent remarquer, la liberté dont il s’agit est celle-là même du propriétaire. Et le droit de préserver la propriété qui est si bien mis en avant par les révolutionnaires de 1789 ne prévoit pas de droit, pour ceux qui n’en ont pas, d’en avoir ! Donc en principe l’Etat libéral est au-dessus des intérêts personnels et sa fonction est seulement de préservation ; il est là pour garantir les contrats. Mais on ne peut pas empêcher, dans les faits, une complicité du pouvoir (public) avec le monde économique et financier (privé). On peut toujours suspecter en effet que le premier est une émanation du second.

Mais les exclus de la propriété – les « prolétaires », au sens marxiste - concevront à leur tour une autre version de la démocratie, fondée sur le partage (communisme), donc privilégiant l’égalité. Mais elle n’en sera pas moins une démocratie représentée et surtout hyper centralisée. Au lieu d’une minorité de propriétaires, nous aurons simplement une minorité à la fois politique et technocratique à la tête d’un parti (unique). 1° C’est toujours l’Etat, investi par le Capital ou par le Parti, qui gère la représentation. 2° Dans le cas du libéralisme, l’Etat est le complice hypocrite des intérêts privés ; dans le cas du socialisme, il se fait ouvertement “interventionniste”, et on peut toujours lui reprocher de se mêler de ce qui ne le regarde pas, et de fausser (donc retarder) le processus de développement économique. 3° L’Etat incarne toujours la puissance, et même la force (militaire), de façon exclusive.

 

3 ) Vers une nouvelle citoyenneté ? 

En ce qui concerne les institutions de la République, il est toujours possible de les amender pour renforcer l’autonomie des trois pouvoirs, et relativiser le pouvoir exécutif. Ce n’est pourtant pas le chemin que prennent les nations modernes qui, tentées par le populisme et l’autoritarisme (sous la menace du terrorisme ou autre), ne font que renforcer les pouvoirs présidentiels (Russie, USA, Turquie, et même la France…). Quoi qu’il en soit il y aura toujours trois pouvoirs, un législatif, un exécutif et un judiciaire, et ces pouvoirs ne seront jamais que les représentants des pouvoirs réels du citoyen.

Bien sûr il est toujours possible de critiquer l’Etat, de façon constructive, c’est même le rôle de chaque citoyen. Mais une critique radicale qui contesterait l’existence même de l’Etat ainsi que le principe même de la démocratie ne ferait que sombrer dans l’extrémisme ou un fanatisme d’un autre âge. Ni la démocratie ni l’Etat ne sont parfaits, et c’est plutôt rassurant. C’est pourquoi ils restent rationnels. Car les désirs de perfection, de pureté, ou de changement radical sont le fait des extrémismes nihilistes comme nous le rappelle Karl Popper, qui sous-entend une salutaire parenté entre la méthode démocratique et la méthode scientifiques : elles avancent pas à pas et admettent le droit à l’erreur !

« L’extrémisme est fatalement irrationnel, car il est déraisonnable de supposer qu’une transformation totale de l’organisation de la société puisse conduire tout de suite à son système qui fonctionne de façon convenable. Il y a toutes les chances que, faute d’expérience, de nombreuses erreurs soient commises. Elles n’en pourront être réparées, que par une série de retouches, autrement dit par la méthode même d’inventions limitées que nous recommandons, sans quoi, il faudrait à nouveau faire table rase de la société qu’on vient de reconstruire, et on se retrouverait au point de départ. Ainsi, l’esthétisme et l’extrémisme ne peuvent conduire qu’à sacrifier la raison pour se réfugier dans l’attente désespérée de miracles politiques. Ce rêve envoûtant d’un monde merveilleux n’est qu’une vision romantique. Cherchant la cité divine tantôt dans le passé tantôt dans l’avenir, prônant le retour à la nature ou à la marche vers un monde d’amour et de beauté, faisant chaque fois appel à nos sentiments et non à notre raison, il finit toujours par faire de la terre un enfer en voulant en faire un paradis. » Karl POPPER, La société ouverte et ses ennemis, Tome 1

Concernant les dualités classiques comme libéralisme/socialisme, conservatisme/progressisme, gauche/droite, etc., on peut regretter qu’elles occultent les vrais problèmes politiques et surtout la question fondamentale, philosophique, du politique. Le vrai problème reste celui de l’engagement (ou du désengagement, trop souvent) politique du citoyen et ses modalités qui restent à diversifier sinon à réinventer de fond en comble. Oui ou non le citoyen peut-il intervenir, participer, s’engager dans la vie politique (dans la “chose publique”) autrement qu’en militant dans un Parti ou en accomplissant son devoir d’électeur? Car chacun peut voir que ces deux formes classiques d’engament politique sont insuffisantes et d’ailleurs partent en déliquescence. Qu’en est-il, dans la démocratie moderne, du débat politique ? Par quel moyens, quels canaux médiatiques et/ou participatifs ? Dans cette optique, le monologisme d’Etat paraît définitivement périmé et il semble que dans cette faille, la citoyenneté puisse trouver à se renouveler.

Autrement dit la démocratie reste à réinventer… Certains opposent au concept classique de la démocratie représentative (parlementaire) celui de démocratie participative, plus populaire. Des voix se font entendre pour un retour à la conception athénienne originelle de la démocratie, comme le tirage au sort des représentants… Cette conception peut-elle se défendre sans céder à la tentation du populisme ? Ne faudrait-il pas également repenser les conditions du débat public à l’aune des nouveaux moyens de communication ?

dm