Les doctrines niant la liberté au nom de la nécessité

 


Le fatalisme et le déterminisme correspondent à deux positions ambiguës relativement à la liberté, soumettant celle-ci à une forme de Nécessité (surnaturelle ou naturelle). Ambiguës car elles ne font pas disparaître totalement la notion de liberté.

 

1) Le fatalisme 

La notion de Destin relève d’abord de la religion ou de la mythologie, puis de la tragédie, ensuite seulement de la philosophie grecque. Chrysippe, philosophe grec stoïcien, définissait le Destin comme disposition inviolable du tout [c’est-à-dire la Nature] depuis l’éternité. Le destin est donc l’ordre immuable et éternel des choses en même temps que le déroulement implacable des événements.

Si « tout est écrit » d’avance, les hommes ne sont que les jouets du destin, ils ne sont donc pas libres de choisir leur vie. La fatalisme (comme la superstition) revient pour l’homme à se démettre de toute responsabilité : position guère acceptable en philosophie…  

De son côté la religion fait dépendre la destinée du « libre arbitre » divin. L’homme reste soumis à la volonté divine et à sa toute puissance. Pourtant une forme de liberté existe nécessairement : la liberté de conscience. Comment, en effet, prétendre laver ou racheter mon âme souillée par le péché originel, comment affronter le Jugement dernier, comment mériter le paradis si je ne peux pas choisir d’accomplir le bien plutôt que le mal ? 


2) Le déterminisme

Le déterminisme en général - Si le fatalisme correspondait à une vision superstitieuse ou religieuse du monde, le déterminisme correspond à une vision « scientifique ».

Le « déterminisme » est l’idée selon laquelle tout phénomène naturel dépend d’une série de causes suffisantes et nécessaires. Il suffit que les mêmes causes existent pour que le phénomène se répète nécessairement, d’où la célèbre formule « les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets ». Donc en connaissant les causes on peut prévoir les événements. Au 19è, le savant Claude Bernard écrit : "Il y a un déterminisme absolu dans les conditions d’existence des phénomènes naturels, aussi bien dans les corps vivants que dans les corps bruts."

Un déterminisme anthropologique ? - Ceci est vrai pour les phénomènes naturels, indéniablement. Mais y a-t-il un déterminisme anthropologique, applicable à l’être humain ? Le déterminisme anthropologique prétend dégager des lois et même une logique des comportements humains. Dans cette hypothèse, cela signifie que tout comportement humain peut s’expliquer par une série de causes – déterminations – naturelles, et que rien de ce qui compose la « nature humaine » (désirs, conscience, etc.) ou même son existence sociale n’échappe finalement aux lois « naturelles ». C’était l’avis du baron d’Holbach, au 18è, pour qui "l’homme n’est libre dans aucun des instants de sa durée. Il n’est pas maître de sa conformation qu’il tient de la nature ; il n’est pas maître de ses idées ou des modifications de son cerveau (...) ; il n’est point maître de ne pas aimer ou désirer ce qu’il trouve aimable", etc. De même Hume, opposant nécessité et liberté, fait de celle-ci à peu près l’équivalent du hasard, qui, « de l’aveu de tout le monde, est dénué d’existence ». Donc celui qui affirme un déterminisme naturel étendu à la vie humaine rejette non seulement le hasard mais aussi l’existence de la liberté humaine, c’est-à-dire la possibilité d’actions sans causes nécessairement (naturellement ou même socialement) déterminées.

Aujourd’hui, une thèse déterministe consiste à prétendre expliquer l’essentiel des comportements humains par l’hérédité, la génétique. Nos décisions (que l’on croit « libres ») ne pourraient pas aller contre ces « déterminations » innées. 

Mais : 1) Il est difficile de réduire l’esprit humain au fonctionnement du cerveau et du corps (réduction physicaliste). 2) S’agissant du déterminisme social, il faudrait admettre que le milieu social détermine tous les comportements individuels. Or les sciences humaines (comme la psychologie, la sociologie…) sont loin d’expliquer intégralement les comportements humains et elles n’ont pas prouvé qu’elles pourraient, même tendanciellement, y parvenir…

Quelle liberté selon le déterminisme ? - Si l’on admet le déterminisme ne subsiste qu’une définition très réduite de la liberté, à savoir la liberté d’action (« pouvoir faire ce que l’on veut »), une liberté physique elle-même limitée de toute façon. C’est bien ce qu’énonçait Hume : "On ne peut donc entendre par liberté que le pouvoir d’agir ou de n’agir pas conformément aux déterminations de la volonté ; c’est-à-dire que si nous choisissons de demeurer en repos, nous le pouvons aussi. Or personne ne nie que tous les hommes n’aient cette liberté hypothétique, à moins que d’être emprisonnés et enchaînés." 

Or cette approche de la liberté est réductrice puisqu’elle refuse de rapporter la liberté à l’homme en tant que personne. Elle s’en tient à la liberté physique, la liberté d’action, et refuse de traiter le problème de la liberté de pensée. La liberté physique s’applique à celui qui agit sans empêchement. Comme l’a fait remarquer Leibniz, une telle forme de liberté correspond plutôt à ce qu’on appelle simplement la spontanéité. "Aristote a déjà bien remarqué que pour appeler les actions libres, nous demandons non seulement qu’elles soient spontanées, mais encore qu’elles soient délibérées. (...) On ne demande pas si l’homme peut faire ce qu’il veut, mais s’il a assez d’indépendance dans sa volonté même. On ne demande pas s’il a les jambes libres, ou les coudées franches, mais s’il a l’esprit libre, et en quoi cela consiste."

Il est donc inévitable, dans une démarche philosophique, de poser et traiter le problème de la liberté de l’esprit.... 

dm