a. Le fondement et la finalité de la logique
Si la raison est une faculté naturelle, présente en chaque être humain, au moins potentiellement, le raisonnement est la mise en œuvre dans le discours de cette faculté.
Le mot "logos" en grec désignait justement le discours rationnel, par opposition au "muthos" (récit légendaire).
Raisonner revient donc à tenir un discours dans lequel les affirmations sont justifiées par une exigence de cohérence logique. Aristote a formulé (sans le nommer comme tel) le "principe de non-contradiction" : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport » (Métaphysique). Ce principe dit tout simplement que l'on n'a pas le droit de se contredire, d'être incohérent : on ne peut pas dire une chose et son contraire en même temps et sous le même rapport… Si l'on avait le droit de se contredire, ce serait reconnaître que le langage n'a aucune signification ; il faudrait donc nier la signification de cette dernière proposition, celle qui prône le droit de se contredire, etc. En réalité la démonstration correspond à un besoin éthique élémentaire : celui de s’accorder avec autrui ! La démonstration a donc une finalité concrète.
La finalité et les bienfaits du raisonnement (comparé à la croyance, surtout) sont de deux ordres : 1) L'autonomie du sujet raisonneur. D’une façon générale l’usage de la raison nous rend autonome et libre (plus besoin de demander à quiconque les réponses). Mais aussi et parallèlement : 2) sortir du "quant-à-soi", permettre le dialogue, la compréhension mutuelle par la discussion. Car si le raisonnement est un enchaînement d'affirmations, la discussion est un enchaînement de raisonnements, souvent contradictoires, mais dont le résultat final doit être autant que possible l'accord, le "consensus", la paix…
b. Raisonnement et démonstration
Tous les raisonnements ne constituent pas une démonstration (l’analogie ou l’induction ne démontrent rien). La démonstration est un raisonnement aboutissant à l’énoncé d’une proposition vraie, et pas seulement probable.
Pour cela on peut montrer que ce qu’on affirme correspond bien à la réalité : c’est la voie de la preuve expérimentale (scientifique). Sinon on peut montrer que cela correspond bien à ce que l’on sait déjà : c'est le rôle de la démonstration logique. La démonstration repose sur opération nommée inférence : elle consiste à tirer la vérité d’une proposition à partir d'une ou plusieurs autres propositions considérées comme vraies.
La proposition que l’on démontre se nomme « conclusion », et celles qui servent à la démonter sont les « prémisses ».
Il existe des inférences inductives (ou immédiates), qui ne comprennent d’une seule prémisse (« s’il pleut aujourd’hui, il fera beau demain »), qui n’assurent jamais une conclusion certaine (au mieux une probabilité). Ce ne sont pas des démonstrations.
Il existe des inférences déductives (ou médiates) à 2 prémisses : si celles-ci sont vraies, la conclusion sera assurément vraie. Ce sont des démonstrations.
c. Le syllogisme
C’est le raisonnement déductif (et donc démonstratif) le plus connu dont Aristote dans son Organon a fourni le célèbre prototype : tout homme est mortel (majeure), Socrate est homme (mineure), donc Socrate est mortel (conclusion). Puisque la réalité n’est pas en cause, les noms propres peuvent être remplacés par des variables abstraites. Par exemple : tout x est y, or z est x, donc z est y. Si l’on remplace la majeure par « tout homme est immortel », la conclusion « Socrate est immortel » n’en sera pas moins valide logiquement : et pourtant elle sera fausse « réellement ».
Le sophisme. - C’est un faux raisonnement, plus précisément un apparent syllogisme qui part d'une proposition volontairement fausse, ou floue, pour nous faire croire à une conclusion soi-disant logique. Par exemple cette phrase est un sophisme : ""Vous n'êtes pas ce que je suis", "or je suis un homme", "donc vous n'êtes pas un homme". En effet on entretient la confusion entre l’individu (ou la personne) (« ce que je suis ») et l’espèce (l’humanité), comme si on ne pouvait pas à la fois être différents en tant que personnes et pareils en tant qu’humains !
Les "indémontrables". Axiomes et postulats. - Un syllogisme tenu pour vrai suppose quand même que la "majeure" est admise par les interlocuteurs : or la vérité de celle-ci n'est pas toujours démontrable. Parmi les propositions premières indémontrables, on distingue généralement les axiomes et les postulats. Les axiomes sont des propositions évidentes par elles-mêmes. Ce sont en fait des hypothèses ou des conventions pures, comme il en existe en mathématiques. Les postulats sont de nature différente : ce sont des propositions indémontrables mais que l’on demande d’admettre parce qu’elles correspondraient à quelque chose de réel, et parce qu’elles sont nécessaires pour la démonstration.
A vrai dire les démonstrations les plus rigoureuses formellement ne peuvent pas se passer de tout référentiel. La raison ne peut pas se mouvoir dans l’abstraction pure. C’est pourquoi l’importance de la logique doit être relativisée.
d. Les vérités relatives de la logique et des mathématiques
Descartes avait érigé les mathématiques, « science de l’ordre et de la mesure », en modèle normatif de toute connaissance vraie. Les « chaînes de raison » (les déductions) des géomètres lui assurent que “toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s'entre-suivent en même façon” (Discours de la Méthode). On se souvient aussi de la formule de Galilée selon laquelle « le livre de la nature est écrit en caractères géométriques ». Or cette tentative de mathématiser le Réel se heurte à de sérieux obstacles, comme le fait que les axiomes mathématiques sont conventionnels, ou bien le fait qu’on ne peut pas mathématiser le « vivant » : le monde physique seul se prête à cet exercice (et encore).
Le calcul n’est pas le parangon de l’intelligence. Il faut rappeler que le raisonnement purement formel, ou la démonstration purement mathématique, n’apportent pas par eux-mêmes de « connaissances », elles n’en sont qu’un vecteur, au même titre que l’expérience. La démonstration possède également une modalité concrète. Si la démonstration peut rester purement formelle en logique ou en mathématiques pures, elle devient concrète et réclame l'appoint de la preuve expérimentale dans une démarche scientifique complète. A un moment il faut bien montrer pour démontrer.
En généralisant un peu, c’est toute la civilisation occidentale qui s’est constituée sur le modèle démonstratif de la logique mathématique, laquelle soutient en conséquence l’idéal du progrès technique et matérialiste. Mais la démonstration ne fait pas l’unanimité. L’évocation, le langage métaphorique ou poétique peut lui aussi prétendre à la Vérité.
Rappelons-nous aussi que le rationnel et le raisonnable, la raison théorique et la raison pratique ne coïncident pas nécessairement.
Évoquons enfin la distinction proposée par Blaise Pascal (lui-même mathématicien… mais aussi homme de lettres) entre « esprit de géométrie » et « esprit de finesse », et admettons que la sagesse – tenir le langage de la raison – consiste à tenir compte des deux.
dm
