1) L’indépendance de la volonté. Exemple de la sagesse stoïcienne
Pour les stoïciens, c’est la force morale (la volonté) et non le pouvoir d’agir qui définit la liberté d’une personne.
Les stoïciens admettent l'idée de Destin, et certes nous ne maîtrisons pas notre destinée. Cependant nous maîtrisons notre volonté. Il ne s’agit donc pas de forcer le destin (faire tout ce que l’on veut), mais de l’accepter (vouloir ce qui nous arrive).
Épictète : "Est libre celui qui vit comme il veut, qu’on ne peut ni contraindre, ni empêcher, ni forcer, dont les volontés sont sans obstacles, dont les désirs atteignent leur but, dont les aversions ne rencontrent pas l’objet détesté." Encore faut-il ne pas désirer le contraire de ce que la vie (le destin) nous impose de toute façon (la mort par ex.), ou encore convoiter des biens dont la réalisation dépend de facteurs externes à notre volonté.
Pour être libre, le sujet doit selon Épictète se détacher de toutes les valeurs sur lesquelles autrui peut avoir prise, pour ne conserver que ce qui dépend de lui-même : sa volonté, sa raison.
Il faut également se méfier des contraintes intérieures, comme les passions, qui sapent notre autonomie. Comme le disait Leibniz (non stoïcien, certes), "on n’a point l’esprit libre quand on est occupé d’une grande passion, car on ne peut point alors vouloir comme il faut, c’est-à-dire avec la délibération qui est requise".
Bref la liberté consiste à ne vouloir que ce qui dépend de nous (nos pensées, notre vie intérieure), et à éviter de vouloir ce qui n’en dépend pas (les événements extérieurs). Cela revient évidemment à fuir bien des aspects de l’existence, à restreindre bien des désirs pour se concentrer uniquement sur l’utile et sur le possible. Cette volonté d’indépendance peut sembler même bien égoïste. Mais l’intérêt de cette philosophie, c’est d’avoir placé la liberté au niveau de la personne elle-même, au niveau de ce que l’on est et non au niveau de ce que l’on fait.
2) La liberté du sujet et La théorie du libre arbitre (Descartes)
Descartes va encore plus loin. Il affirme la liberté absolue de l’esprit, principalement de la volonté, en tant qu’elle se rapporte à un « ego cogito », un sujet pensant. C’est ce qu’on appelle le « libre arbitre » : pouvoir penser, vouloir, choisir, juger, décider… par soi-même et ce de façon (apparemment) imprévisible.
Descartes : "Il est si évident que nous avons une volonté libre, qui peut donner son consentement ou ne pas le donner quand bon lui semble, que cela peut être compté pour une de nos plus communes notions."
La liberté est la capacité de choisir, de décider, de juger. Les déterministes diront que ces actes de l’esprit sont conditionnés, déterminés par des facteurs extérieurs. Mais même si nos motifs de choisir, de décider, de juger nous échappent, même s’ils sont inconscients, même s’ils nous sont extérieurs, cela n’empêche pas que, par définition, nos choix sont personnels (se rapportent à un « sujet » dont ils proviennent), et c’est en ce sens qu’il faut entendre le « libre arbitre ». Ce n’est pas tant l’aspect « hasardeux » (ou perçu comme tel de l’extérieur) de nos choix qui mérite d’être appelé libre, mais bien l’aspect personnel. Dans un premier temps. Nous allons voir qu’il n’y a pas de hasard en effet, mais, au lieu d’affirmer que nos choix sont déterminés par des causes extérieures ou physiques (position du déterminisme), Descartes affirme que nos choix sont motivés par notre volonté, et ils sont d’autant plus libres que cette volonté est elle-même en accord avec la raison ; autrement dit un acte volontaire est pleinement libre quand il est réfléchi (il est libre aussi en tant que précipité, dans l’absence de réflexion ou dans l’erreur, mais pas de la même façon). Voyons cela.
Dans les Méditations métaphysiques de Descartes, la liberté apparaît dès la faculté de douter, de suspendre son jugement en toute indépendance. La liberté apparait comme un véritable pouvoir de dire non ! Le libre arbitre est défini comme cette puissance « qui fait que nous pouvons nous abstenir de croire les choses douteuses, et ainsi nous empêcher d’être trompés ».
Notre volonté libre permet même de nous déterminer aux choses auxquelles nous sommes indifférents.
Pour Descartes il faut distinguer, dans l’esprit humain, deux aspects : l’entendement et la volonté. C’est-à-dire d’un côté l’intelligence (toujours plus ou moins bornée) qui établit des relations entre les choses et présente des « raisons » d’agir, et de l’autre côté les choix que finalement nous faisons, librement, en accord ou non avec les données de l’entendement. Ce choix est toujours libre car comme l’écrit aussi Leibniz « les plus fortes raisons ou impressions que l’entendement présente à la volonté n’empêchent point l’acte de la volonté d’être contingent ».
Cela signifie-t-il que nous pourrions agir « sans raison », dans une situation donnée choisir telle ou telle option « au petit bonheur la chance », comme « par hasard » ? C’est ce que semble recouvrir la notion d’« acte gratuit », un acte pour rien, sans raison, sans motivation particulière… En théorie peut-être… mais en réalité un tel acte semble inconcevable… Même à imaginer un acte (comme un crime par exemple, pourquoi pas ?) commis avec l’unique intention de prouver ma liberté absolue, mon libre arbitre, cela constituerait déjà une motivation minimale (et cela donnerait des arguments aux déterministes qui auraient beau jeu d’invoquer des déterminations inconscientes « derrière » cette décision absurde). Il n’est donc pas si facile d’agir sans raison ou de commettre un acte insensé (l’on pourra toujours affirmer que ce sens nous était simplement caché).
De la même façon, en théorie nous pouvons faire volontairement le contraire de ce que la raison nous dicte… Notre désir nous indique l’option A et mais la raison l’option B, nous pouvons effectivement faire jouer la raison contre le désir ou inversement… Mais dans tous les cas cela ne sera jamais sans motivation.
Descartes règle le problème à sa manière, en bon rationaliste, en prenant le parti de la raison : pour lui le choix de l’erreur, ou même le choix indifférent « sans raison » (à supposer qu’il soit possible), ne sont jamais que "le plus bas degré de la liberté" (Descartes) et font "plutôt apparaître un défaut dans la connaissance qu’une perfection dans la volonté". La véritable liberté est rationnelle : elle consiste à s’incliner devant l’évidence claire et distincte, devant les vérités rationnelles qui finissent par s’imposer à l’esprit. Cette fois la volonté dit oui à la raison et à la vérité. Nos pensées, nos choix, nos actes sont vraiment libres lorsqu’ils découlent d’une réflexion ou d’un raisonnement qui nous sont propres. Donc il ne faut pas confondre la liberté théorique en tant que principe même de la volonté (la volonté est libre par définition, un choix est libre par définition…) et la liberté réelle au niveau de notre personne que nous apporte les bons choix, les choix raisonnables D’une manière générale, choisir le raisonnable, choisir en connaissance de cause, nous rend plus libre c’est-à-dire autonome. Et le savoir apporte un supplément de choix.
3) La critique de Spinoza : retour à la Nécessité et la voie de la libération
a) Nécessité contre liberté - Spinoza (17è) critique cette doctrine cartésienne du libre arbitre. “Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; cette opinion consiste en cela seul qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés” écrit-il. En réalité la nécessité des lois naturelles s’impose à tous les êtres y compris à l’homme, mais seul l’homme, en tant que conscient, peut se croire libre. Il s’agit d’une illusion par laquelle la conscience (qui a tendance à se représenter et donc à s’essentialiser elle-même) sépare abusivement, d’une part le sujet (« je ») de l’acte lui-même, d’autre part la décision de ce même sujet de la série des causes qui l’ont déterminé à agir.
Mais tous les êtres agissent en fonction de leur nature propre (qui constitue leur unique « raison » d’agir), et les hommes n’échappent pas à cette loi qui est celle de la Nature (et Spinoza assimile la Nature à Dieu : panthéisme).
b) Raison et libération – Cependant toute forme de liberté n’est pas exclue de ce système. Spinoza : "Je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée". Pour Spinoza, être libre consiste pour chaque être à connaître et à développer les conséquences de sa nature ; être non-libre consiste à être sous l’influence d’un être tiers, nous imposant des modes de vie contraires à notre nature. (Descartes plaçait la liberté dans le sujet, Spinoza la place donc dans la nature.) Cela pourrait se dire aussi bien d’un animal (lequel vit librement dans les conditions naturelles qui sont propres à son espèce). Or l’homme est un être conscient et rationnel, donc sous cet aspect il a accès à une certaine liberté, celle justement que lui permet sa nature rationnelle. Être libre, c’est d’abord penser et agir rationnellement, étant donné que l’erreur nous précipite dans la confusion, l’aliénation et l’impuissance. La vraie liberté n’est pas le « libre arbitre » (notion illusoire selon Spinoza) de la volonté, elle consiste plutôt à connaitre le plus précisément possible les causes naturelles et nécessaires (à nouveau la notion de nécessité) qui nous déterminent.
Or – avec le recul - nous sommes fondés à employer le terme de « libération » plutôt que de « liberté » pour l’appliquer à cette doctrine… Spinoza fait partie d’une tradition philosophique, qui se prolonge avec Marx notamment, selon laquelle l’homme n’est pas libre a priori, mais il peut se libérer des chaines qu’il s’impose lui-même lorsqu’il vit dans l’illusion (plutôt qu’en raison) ou selon l’idéologie (plutôt que selon la science, d’après Marx) : or la croyance en la liberté et surtout dans le libre arbitre est précisément l’une de ces illusions (fortement teintée par l’idéologie bourgeoise selon Marx). Selon Spinoza la connaissance adéquate que l’homme acquiert des causes naturelles qui l’affectent et qui le déterminent (pour Marx la prise en compte des conditions matérielles de son existence), constitue la voie de sa libération. Par la connaissance, l’homme s’aperçoit qu’il n’est pas « libre » d’échapper à sa nature et à la nature divine (il en fait partie), mais en le sachant il se « libère » de l’illusion inverse. L’autre tradition, celle dont fait partie Descartes, tend au contraire à affirmer a priori une liberté absolue de la volonté (le libre arbitre)… mais c’est pour la relativiser après-coup au nom de la raison mathématicienne, la liberté passant « sous condition » de la raison (et politiquement, en parallèle, ce courant va affirmer le principe absolu d’un droit à la liberté (les fameux « droits de l’homme »), avec le libéralisme économique et politique qui l’accompagne, mais cette fois c’est pour s’opposer à toute idée de libération par la révolution).
Une idée forte réunit pourtant Descartes et Spinoza… : pour l’ensemble des philosophes classiques, qu’ils privilégient la volonté du sujet (Descartes) ou au contraire la nécessité de la nature (Spinoza), être libre signifie d’abord doué de raison, capable par nature de connaître la vérité. Être libre c’est d’abord penser par soi-même : libre examen, libre jugement, et non-soumission à une autorité extérieure.
4) Liberté et Conscience, Liberté et Existence (doctrine existentialiste)
a) La liberté de la conscience - Expliquer la liberté de l'esprit par l'autonomie de la volonté s'avère cependant trop restrictif. Pour les philosophes contemporains, l'esprit se définit mieux, dynamiquement, par la "conscience". Or celle-ci n'est pas seulement perception de soi : elle s’assimile à un authentique pouvoir de dépassement de l’homme par lui-même. Pour Hegel, ce pouvoir ne peut pas exister sans la négation de tout ce qui n’est pas lui : aussi repose-t-il sur la négativité qui est le propre de la conscience. La liberté est cette puissance que détient la conscience de nier tout donné objectif (= ce que “vise” la conscience), quel qu’il soit. Si la nature et les choses coïncident avec elles-mêmes (elles n’« existent » pas, elles « sont »), au contraire l’homme “néantise” tout donné. En toute circonstances, la conscience peut mettre à distance ce qui semble la déterminer.
b) Liberté et création – Sartre au 20è siècle va développer ce grand principe de la négativité, en le couplant avec la théorie cartésienne du libre arbitre. Pour Descartes Dieu est l’être suprêmement libre car non seulement sa volonté est infinie mais son intelligence également : son omniscience se double de l’omnipotence (le pouvoir de créer en fait). Or l’autonomie parfaite que Sartre entend restituer à l’homme n’est autre qu’un pouvoir de création : le Dieu cartésien a peut-être créé le monde, mais l’homme sartrien veut se créer lui-même. Hommage étant finalement rendu à Descartes, lequel « a parfaitement compris que le concept de liberté renfermait l’exigence d’une liberté absolue, qu’un acte libre était une production absolument neuve dont le germe ne pouvait être contenu dans un état antérieur du monde et que, par suite, liberté et création ne faisaient qu’un. »
c) Liberté et existence – L’homme « existe » « pour soi », il n’est pas seulement une chose « en-soi » qui se conformerait à une essence prédéterminée. En tant que jetés dans l’existence, « Nous sommes condamnés à être libres » écrit Sartre. Cette condamnation sonne – paradoxalement - comme une sorte de fatalité. La fatalité de la liberté revient à dire que, même si nous refusions notre liberté, cela ne ferait pas de nous des automates (déterminisme), mais plutôt des êtres de « mauvaise foi ». En fait la liberté ne nous laisse aucun répit : nous sommes seuls responsables de ce que nous faisons et de ce que nous sommes. Mais la plupart des hommes refusent cette liberté (qu’ils ont pourtant et qui les fait agir) au nom d’un déterminisme bien commode (« je suis le produit de ceci ou de cela »), car ils rejettent sur les autres voire sur le monde entier la responsabilité de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont. Mauvaise foi donc.
Il est clair que le « nous » ici est un nous collectif. La philosophie existentialiste affirme que nous sommes seuls responsables de notre histoire personnelle, mais nous ne sommes pas seuls au monde, avec les autres nous avons en charge l’Histoire universelle, laquelle n’avance pas sans nous... Il s’agit d’une liberté et d’une responsabilité en commun. Notre liberté et nos actes nous engagent.
Là encore nous sommes fondés à remplacer le terme de “liberté’ par celui de “libération”, car la liberté n’est pas seulement un « fait » pour l’homme, elle est une histoire et surtout une tâche… Un devoir-être. Il n’y aura donc pas de liberté individuelle sans liberté sociale et sans liberté politique… à conquérir et à protéger.
dm
