Signe et Sens
Comme toute conscience est conscience de quelque chose, toute interprétation est interprétation de quelque chose. Par ailleurs, la démarche existentialiste se veut "phénoménologique", elle décrit avant tout les phénomènes apparaissant à la conscience, ou comment la conscience appréhende le monde, ou encore comment le monde fait signe à la conscience. L'interprétation porte sur le sens, bien sûr, mais elle n'atteint le sens que par le biais des signes : ce sont bien les signes qui sont à interpréter, le sens n'est que le résultat Précisons bien alors la nature du signe. La signalétique dispose sur les routes des signaux. Un signal doit le plus possible provoquer le réflexe et le moins possible la réflexion. Il est important que l’automobiliste ne prenne pas un temps pour interpréter, mais réagisse rapidement. Un signal ne doit pas avoir besoin d’être interprété, par contre un signe oui. Au signal est attaché un comportement, au signe est attaché un sens. Ce que nous interprétons, c’est tout ce qui peut être considéré comme un signe doué de sens. Mais ce n’est pas tout, puisque certains signes tels que les signes mathématiques, ne font pas non plus l’objet d’une interprétation. Un signe mathématique est en effet univoque, or ce qui est interprété, c’est au contraire ce qui est équivoque. Nous interprétons là où il y a une ambiguïté ou une obscurité, et non pas là où une idée présentée dans un signe est claire et distincte. Je peux interpréter un geste de la main en me demandant si c’est un geste amoureux ou un geste indifférent. Je ne vais pas interpréter l’ordre de l’agent de police m’intimant de passer sur la droite, au lieu de continuer tout droit dans la rue. Il y a une ambiguïté dans le geste de cette personne, il n’y a pas d’ambiguïté dans le geste de l’agent. Où mène ce chemin de l'interprétation ? Généralement, la vie ne nous donne pas le choix. La nécessité du sens s'impose ; on peut contester le principe de non-contradiction, on ne peut pas vivre dans le non-sens. Cela signifie que le Réel n'est pas vivable, pour nous les hommes, si on ne lui confère pas un sens par l'interprétation. Or les signes univoques, comme ceux de l'agent de police, n'ont qu'une valeur pratique assez mince, en aucun cas existentielle. La plupart des relations humaines, en tant qu'existentielles, sont équivoques. Notre réel est un réel intégralement humain, et les relations entre les hommes sont à interpréter.
La temporalité et "le goût des autres"
On sait que l'existentialisme insiste sur la temporalité comme dimension propre de la conscience, et sur l'historicité comme synonyme de condition humaine. L'interprétation a donc nécessairement un rapport au temps, elle est limitée au temps et par le temps. La temporalité est une donnée irréductible de l'interprétation. Le sens ne se donne pas d'emblée : il faut du temps justement pour que le sens advienne. Selon Heidegger L'être-là (dasein) est l'être auquel s'impose la tâche d'interpréter le sens de son être propre et des possibilités temporelles qui y sont impliquées. Ce n'est donc ni le vrai, ni le vraisemblable qui nous permettent ici de saisir au mieux le sens de l'interprétation, mais le possible. Le problème de l'interprétation n'est pas celui de la connaissance, mais celui de l'être et de l'agir dans le temps. Que puis-je faire pour advenir à l'existence, comprise comme un vécu authentique et non comme une vie par procuration ?
Or le sens de cette question, et donc de la réponse, n'est donné que dans la rencontre avec l'autre. Littéralement, Autrui est le sens de mon existence, celui vers qui je vais dès lors que je sors de moi-même, c'est-à-dire dès lors que j'existe. D'une façon générale, l'interprétation révèle l'homme comme un être qui s'interroge en interrogeant les autres sur ce qu'ils ont voulu ou veulent. Autrui se donne d'emblée comme celui dont les comportements, les signes, les gestes, les paroles, etc. et même la présence sont à interpréter. Mais ils le sont dans la perspective d'une compréhension de moi-même. Que désire-t-il ? Que me veut-il ? Autrui étant le sens même de mon existence, le symbole de mon extériorité à moi-même, le garant de ma différence, il est donc celui dont les signes sont à interpréter. Interpréter les signes de l'autre, ce n'est pas seulement leur prêter une signification ; cela peut avoir le sens d'un rapprochement, d'une invitation à se comprendre certes mais aussi et surtout à s'apprécier, ce qui nous ramène au sens le plus délaissé du mot sens, la sensation et le plaisir.
dm
