(Les titres des paragraphes ont été ajoutés pour plus de commodité, ils n’apparaissent pas dans l’ouvrage.)
§ 1 – L’objet de ce livre
L’auteur se réjouit de donner à lire une version en français de son ouvrage, car il pense qu’il sera lu par davantage d’« honnêtes hommes » selon le concept en vigueur au 17è s. Descartes attend beaucoup de ces nouveaux lecteurs car il se méfie des érudits et des philosophes institutionnels.
§ 2 – La philosophie comme connaissance des vrais principes
Sur le mot « sagesse », rappelons qu'il ne faut ne pas confondre avec la simple prudence, il s’agit bien ici de connaissance, à la fois pratique et théorique. Connaissances des premiers principes. Les principes sont les causes (ou les « raisons ») de tout ce qui existe, ce qui permet de comprendre le monde des choses et des hommes.
Ces principes possèdent 2 qualités : 1) - Il sont clairs et évidents : deux qualités qui s’appliquent aux idées vraies en général. Clairs parce qu’on ne peut pas confondre un principe avec un autre, évidents parce qu’on ne peut pas en douter. 2) - Ils sont premiers : ce qui semble évident puisque le mot principe vient du mot latin principium qui a tout à la fois, comme le mot grec archè, le sens de commencement et de commandement, et il retient de son étymologie une double relation avec les idées de priorité et de supériorité, le principe étant à la fois ce qui précède et ce qui régit les choses qu'on lui rapporte.
C’est pourquoi (connaissance des) « premiers principes » sonne comme un pléonasme : c’est que le philosophe ne prétend connaître tous les principes, simplement les plus importants, ceux qui viennent donc en premier.
Remarque importante de Descartes : Dieu seul est parfaitement sage (omniscient). Mais les hommes sont d’autant plus sages qu’ils connaissent (ou cherchent à connaître) les vérités les plus importantes. L’homme en tant que créature de Dieu, fait « à son image », s’approche du divin par son intelligence, mais seulement au sens le maximum s’approche de l’infini (l’écart reste abyssal).
§ 3 – Utilité et noblesse de la philosophie
Dans ce passage, sans doute la plus important de la Lettre, Descartes se propose d'expliquer l'utilité de la Philosophie pour chacun. « C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ». Descartes ne craint pas de présenter la pratique de la philosophie comme la condition indispensable pour nous permettre de mener une vie vraiment humaine. Cette thèse semble radicale (elle interroge ce qui fait la dignité de l'être humain, par opposition à l'animal) et extrême (elle trace une séparation franche entre ceux qui se consacrent à la philosophie et ceux qui ne s'y consacrent pas). En quoi consiste donc la lumière de la philosophie ? Dans quelle mesure faut-il dire qu'on ne peut vivre sans philosopher ? La thèse se fonde sur 3 arguments : a) le choix de la philosophie. - b) le plaisir que procure la philosophie. - c) argument de la nécessité de la philosophie sur le plan pratique.
a - Faire de la Philosophie est un effort de lucidité, une quête de la vérité par soi-même au moyen de la raison concernant les grandes questions fondamentales, universelles. Ne pas faire de Philosophie c’est avoir les yeux fermés par ignorance (éducation médiocre, insuffisante, obscurantisme) et par aveuglement (ne pas vouloir savoir / ne pas faire l'effort de comprendre par soi-même, mauvaise foi : pressentir que l'on est dans l'erreur ou qu'il existe d'autres vérités mais ne pas chercher à les découvrir, par goût du conformisme etc.).
b - Supériorité de la philosophie sur le plaisir de voir. Le plaisir de la vue est réel (découverte du monde extérieur, de la nature, des objets, contemplation)... mais insuffisant du point de vue de la connaissance du réel à cause des limites de nos sens par rapport au monde extérieur. Les apparences ne peuvent rendre compte d'elles-mêmes. Or, le réel ne se réduit pas à ce que nous en percevons. En revanche, supériorité du plaisir de philosopher : activité de l'esprit, élaboration dans l'effort de comprendre les choses au moyen de la raison (saisir les rapports vrais entre les choses). Pour Descartes, il n'y a de connaissance que grâce à notre entendement.
c- Argument de la nécessité de la philosophie sur le plan pratique. Nécessité de la philosophie pour 'régler nos mœurs et nous conduire, en cette vie’ : la philosophie comme réflexion éthique sur les valeurs (le Bien, le Mal, le juste, la responsabilité...) pour guider les conduites humaines. Quelle vie voulons-nous vivre ? Question de notre responsabilité (réfléchir sur le sens de nos actes et sur les conséquences de ceux-ci pour nous-mêmes et pour autrui) dans le déroulement de notre existence. Ne pas chercher à comprendre l’ordre du monde (monde de la nature et monde humain) c'est s'exposer à le subir et à souffrir. Comprendre le réel, c'est se donner le moyen d’agir en connaissance de cause, (savoir ce qui est en notre pouvoir ou non) : c'est la condition même de la liberté.
Cela conduit Descartes à introduire une distinction radicale entre l'homme et la bête... ("Les bêtes brutes... ils en sont capables.). L'animal ("les bêtes brutes") se borne à la seule satisfaction de ses besoins immédiats et se confond avec la nature (vie instinctive). Sans philosophie, l'homme ne se soucie et ne se satisfait que de son avoir, de la vie du corps, de ses biens matériels ; il retourne en quelque sorte à une vie animale.
Mais cette tâche de penser est ardue et il y a nécessité de surmonter un obstacle d'ordre subjectif : le manque de confiance en soi (« il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils avaient espérance d’y réussir et sussent combien, ils en sont capables »). La pratique de la philosophie n'est pas affaire de spécialistes ou de dons intellectuels exceptionnels, mais de courage, de désir et de méthode. Il convient donc faire le pari de ses propres capacités. Le point de vue de Descartes est-il élitiste ? En réalité, Descartes distingue surtout les hommes selon qu'ils ont ou non le désir et le courage de se mettre à la "recherche de la sagesse". Tous « les hommes, dont la principale partie est l’esprit... » peuvent éprouver ce désir.
Est-ce à dire que seuls les philosophes vivent de façon vraiment "humaine" ? Non, bien sûr, et pour deux raisons. Tout d'abord, le philosophe est à la "recherche de la sagesse", il ne la possède pas. Ce qui le distingue de ses semblables, c'est cette conscience de son ignorance et son désir de rechercher la vérité par lui-même (et non de rester dans l'ignorance ou d'adhérer à la vérité d’autrui, par procuration). Ensuite, la philosophie n'est sans doute pas le seul chemin vers la connaissance : les sciences, la religion, l'art sont d'autres voies toujours possibles. Néanmoins, la philosophie comporte cet avantage que nous propose une méthode pour penser par soi-même avec rigueur et qu’il appartient à chacun de rechercher la vérité. En cela, elle est l'école de la liberté par la pensée. "Aude sapere !" : Ose savoir, ose te servir de ton propre entendement, telle est la devise des Lumières, et en l'occurrence une phrase d'Emmanuel Kant.
§ 4 – Les cinq degrés de la Sagesse et la critique d’Aristote
Ce passage est une « pique » lancée contre les érudits et philosophes institutionnels.
Les degrés de la sagesse : 1 - les notions premières (claires, évidentes, innées, donc communes à tous… mais simples) ; 2 - l’expérience des sens (peu fiable selon Descartes – cf. le passage du « Morceau de cire » dans les Méditations) ; 3 - les dialogues et les conversations (domaines des « opinions », parfois vraies parfois fausses) ; 4 - la lecture (sorte de conversation avec un auteur) ; 5 - la philosophie : chercher les causes premières et les premiers principes. Or Descartes fait ici le constat amer que les philosophes jusqu’ici ont échoué ; (un degré supplémentaire, mais à part : la révélation divine, soit une connaissance qui vient d’un seul coup).
La critique d’Aristote (commence à « Les premiers et les principaux ». Platon n’a fait que « jouer » avec le doute et l’incertitude, et s’y complait (Descartes critique la « maïeutique » où Socrate avoue ne rien savoir). Mais Aristote n’a fait répéter les idées de Platon en les présentant autrement. Et surtout il affirme le vraisemblable comme s’il était vrai. Les exposés et les raisonnements d’Aristote se présentent comme logiques (cf. le syllogisme) mais sont purement formels, ne recouvrent aucune réalité, et sont très loin de la rigueur mathématique.
Leurs disciples furent des perroquets ! Un scepticisme faux en découle : certains vont jusqu’à douter des actions pratiques (courant sceptique), tandis que d’autres ne croient qu’en leurs sens (courant épicurien, matérialiste). Puis on a même déformé Aristote. Tous ces courants philosophiques du passé on ceci en commun : « ils sont tous supposés pour principes quelque chose qu’ils n’ont point parfaitement connu ». Tandis que Descartes, dans son Discours de la méthode, préconise de ne jamais poursuivre un raisonnement tant qu’on n’est pas certain de ce qu’on avance (principe de la déduction mathématique). Un exemple, en physique : la pesanteur, ils ne l’expliquent pas mais au contraire ils prétendent en tirer des conclusions hâtives qui confortent des préjugés (du genre : les corps chutent vers le centre de la terre… ce qui prouve bien que la terre est au centre).
Ces erreurs de méthode sont graves, car si les principes sont erronés il est impossible d’avancer dans la connaissance. Une vraie science pour Descartes est une science qui nous fait progresser : 1) découvrir des vérités, 2) avancer vers la sagesse.
Finalement tout ce qui a été avancé en philosophie jusqu’à présent n’est que le produit des 4 premiers degrés de connaissance. Conclusion : ceux qui ont le moins appris dans les Ecoles… sont aujourd’hui les plus capables d’apprendre !
§ 5 – Les vrais Principes de la philosophie
Rappel des 2 critères des vrais principes : leur clarté et leur évidence. Sous ces conditions seules, en tant que principes premiers, ils permettent d’en trouver d’autres en suivant. Le seul critère de la vérité des principes est leur fécondité. En quoi sont-ils clairs et évidents ? Ils résistent au doute, ils sont indubitables.
Le premier principe est l’existence de la pensée (cogito = sum).
Le second principe est l’existence de Dieu (comme Esprit). Rappelons que dans les Méditations, Descartes propose un raisonnement (une « preuve ») original, dit « la preuve par l’idée d’infini : l’infini ne peut pas sortir du fini, or un être fini comme l’homme possède une notion de l’infini en son esprit, dont il ne peut être l’auteur : un Dieu a donc dû disposer cette idée dans son esprit. Dieu d’une part garantit la fiabilité de mon entendement (ce que mon entendement me présente comme vrai s’avère bien réel, ce n’est pas une illusion). Dieu d’autre part est le garant de toutes les vérités (= véracité divine, Dieu n’est pas trompeur). Cette confiance en Dieu est importante pour Descartes car il s’agit de prouver que la raison naturelle, faite à l’image de l’intelligence divine (même s’il elle lui reste infiniment inférieure), est elle-même fiable, notamment lorsqu’elle s’exerce dans les sciences. L’enjeu est historiquement et culturellement capital, puisque la démarche scientifique à l’époque de Descartes est loin d’être acceptée (notamment du côté de l’Eglise).
Le troisième principe est l’existence du monde en tant que figurable et mesurable (Galilée : « La nature est écrite en langage mathématique »), c’est-à-dire objectivable par la science.
Tous ces principes ont été connus de tout temps, reconnait Descartes, sauf qu’ils n’ont pas été considérés comme premiers (pour Descartes, c’est l’ordre les vérités qui compte !). D’où l’intérêt de lire mon ouvrage déclare Descartes, ne serait-ce que pour mieux comprendre ceux des autres !
6 § - Comment lire ce livre ?
« Le parcourir tout entier comme un roman » : « roman » renvoie à une histoire, à un parcours, celui d’un esprit (Descartes), histoire de marquer l’honnête homme… Rappelons que le Discours de la Méthode déjà se présentait en partie comme un essai auto-biographique.
Puis dans un second temps, le relire plus scientifiquement (« connaître les raisons »).
Une troisième lecture servira à pointer les difficultés : nous verrons alors qu’aucune difficulté, en philosophie, ne résiste à l’examen.
§ 7 – Nécessité de la méthode
Descartes rappelle que tous les esprits peuvent accéder à la vérité (c’est observable), mais encore faut-il qu’ils disposent d’une méthode universelle.
Mais la force des préjugés est terrible de la part 1) De ceux qui croient ne pas pouvoir. 2) Ceux qui croient déjà savoir…
§ 8 – Dans quel ordre il faut étudier
1 : se doter d’une morale provisoire. En effet celui qui a décidé de rechercher la vérité doit d’abord chercher à se défaire de ses préjugés et par conséquent, à douter de ce qu’il a admis jusque-là comme vrai. Mais pendant qu’il cherche et doute, il ne peut pourtant point cesser de vivre. Il doit donc d’abord se donner, à titre provisoire, quelques règles de morale simples, qui suffisent aux occasions ordinaires de la vie.
2 : se donner les règles de sa pensée, c’est-à-dire étudier la logique. Descartes critique la logique scolastique (Aristote) parce qu’elle est stérile, ne servant qu’à exposer ce que l’on sait déjà. Il lui faut substituer une logique féconde, qui serve, non seulement à exposer, mais à découvrir. Cette logique nouvelle sera inspirée des mathématiques, où l’on découvre des vérités fort complexes, en procédant par ordre, à partir des vérités simples.
3 : aborder l’étude des sciences proprement dites, dans l’ordre suivant, du théorique vers le pratique (c’est tout le sens de la métaphore de l’arbre utilisée par Descartes, car ce sont bien les fruits et non les racines qui sont la finalité de la nature (et ainsi de même de la science). D'abord la métaphysique qui contient les principes (fondements, comme le réalité du cogito, Dieu…) : ce sont les racines de l’arbre, d’où tout part ; puis la physique (science majeure) : tronc de l’arbre ; puis la médecine (1ère science appliquée), dont Descartes attend beaucoup, comme une branche de l'arbre ; puis la mécanique (2è science appliquée), soit l’ensemble des techniques, autre branche ; enfin la morale (3è science appliquée) – et troisième branche.
On voit que la morale est la science la plus difficile, et celle qui vient logiquement en dernier, parce qu’elle suppose la connaissance de toutes les autres, et c’est pourquoi il a fallu, pour le temps de la recherche, se constituer une morale provisoire.
§ 9 – Précédents travaux et plan de l’ouvrage
1) Précédents travaux - Descartes évoque ses précédents ouvrages, comme le Discours de la méthode et les fameuses Méditations métaphysiques. En ce qui concerne le premier, son intérêt est de constituer une grande préface méthodique à ce qu’aurait dû être le « Traité du monde » que Descartes voulait faire paraître ; mais il y a renoncé à cause de la censure. Il insiste sur l’importance de la logique et de la « morale provisoire », avant d’énumérer les diverses parties de la physique (Dioptrique, Météores c’est-à-dire Astronomie, Géométrie, toutes ces sciences où Descartes s’est illustré en son temps). Toujours se rappeler de cette différence : en matière de science, Descartes ne tient pour vrai que ce qui est certain et logique, donc écarte toute opinion, alors qu’en matière de morale, il affirme que rien n’est certain et qu’il vaut mieux se conformer aux mœurs existantes (dans le doute), donc une forme d’opinion est exigible.
2) Plan de l’ouvrage : Partie 1 : la métaphysique. Partie 2 : principes des choses matérielles. Partie 3 : l’astronomie. Partie 4 : le Terre. L’ouvrage, indique Descartes, devait comporter en outre (mais il n’en a pas eu le temps, ou pas les moyens) une étude des animaux et des plantes, et de l’homme, étude nécessaire, comme nous l’avons vu, à la préparation de la science dernière : la morale.
§ 10 - Avantages que l’on peut tirer de ce livre
Satisfaction d’y trouver des vérités : autrement dit le plaisir gratuit de savoir (idée aristotélicienne que le savoir rend heureux).
Devenir plus sages, à l’opposé des pédants (faux savants mondains de l’époque de Descartes).
Les vérités claires et certaines ôteront, selon Descartes, tout sujet de disputes et apporteront la paix.
De plus ces vérités seront fécondes, c’est-à-dire qu’elles permettront d’en produire d’autres. Thèse très importante, à savoir que ce qui fait la validité d’une science selon Descartes, comme on l’a dit, c’est sa fécondité. Le fait qu’elle puisse progresser. Une science qui ne progresserait pas ne serait pas une science (c’est Aristote qui est visé une fois de plus).
§ 11 - La dispute avec Régius
Descartes a l’occasion ici de « régler ses comptes » avec tous ceux qui prétendent le connaître mais qui trahissent sa pensée. En cause, comme toujours, la précipitation, le manque de rigueur. Il faut toujours procéder par ordre. Or ce que reproche Descartes à ce fameux Régius, un érudit qui prétendait défendre les thèses de Descartes en matière de physique, c’est justement d’oublier les fondements métaphysiques de la connaissance. Voir l’arbre du savoir : la métaphysique, ce sont les racines, elles permettent d’établir (avant de connaître le monde) comment l’esprit peut se connaître lui-même (c’est le cogito) puis connaître l’existence de Dieu (source de l’esprit et de toute vérité). Faute de quoi, l’on tomberait dans un matérialisme que refuse Descartes.
§ 12 - Message à la postérité
Dans ce message, l’auteur rappelle 3 choses.
1) Il faut compter sur le futur pour être reconnu, puisque, nous l’avons dit, le propre de la science est de progresser lentement.
2) Les connaissances scientifiques dépendront d’expériences qui nécessiteront des moyens, il faudra donc une « volonté politique » comme on dit, adéquate.
3) Il rappelle le lien selon lui entre les progrès de la science et le fait d’acquérir plus de sagesse et plus de bonheur (pour tous).
dm
