Entre "vie belle" et "vie réussie"... quelques modestes remarques.
D'abord : qu'est-ce qu'une belle vie ? Si l’on en croit Bergson, c'est une vie consacrée à la création, une vie au service de la vie, donc logiquement une vie menée dans la joie qui accompagne toute création et toute réalisation personnelle. Mais aussi une vie que l'on puisse considérer avec fierté, avec le sentiment d'avoir vécu sans être passé "à côté" de sa vie, d'avoir été libre, de ne rien regretter…
La vie peut être belle parce qu'elle est admirable, et donc excitante, ou plus simplement parce qu'elle est agréable ; les deux ne coïncident pas mais ne s'excluent pas nécessairement. Et donc finalement une belle vie est aussi une vie réussie !
Qu'est-ce que, plus précisément, réussir sa vie ? La notion de "réussite" peut sembler réductrice : elle conduit à penser que le bonheur serait inséparable, non seulement d'une vie moralement bonne, mais aussi d'un accomplissement, une réalisation noble, une œuvre… Passons sur une version plus triviale, sociale ou professionnelle de la "réussite" : honneurs et richesses ne procurent pas une véritable joie.
De même, l'injonction populaire de jouir de la vie, de simplement "profiter de la vie", ne saurait suffire - sinon la philosophie serait parfaitement inutile, et surtout il y aurait strictement autant d'occasions, dans la vie, de rencontrer malheur et bonheur (simple alternance de chances et de malchances). Tandis que la joie résulte du fait d'avoir créé et donné de la vie d'une façon ou d'une autre. Avoir "fait quelque chose de sa vie", avoir mené une action ou avoir créé une œuvre, ou simplement avoir fait quelque chose de durable, ou même avoir contemplé la Beauté sous des formes diverses (mais cela implique un effort, une éducation du goût) : il y a mille et une manière d'avoir "réussi" sa vie, c'est-à-dire de lui avoir donné un sens. Un sens qui, inévitablement alors, se transforme en jouissance. Sous ces conditions, il semble difficile de séparer la sensation esthétique de la "beauté de la vie" de tout sentiment moral de grandeur. Donner du goût à la vie revient à lui donner un prix et réciproquement. Ce mélange de saveur et de grandeur, de bonheur et de valeur, voilà peut-être ce que l’on peut nommer dans ses multiples sens le “sens de la vie”.
dm














