Pour être artiste il faut « avoir du talent », dit-on, il faut « être doué ». Ce n’est pas comme l’artisan qui doit « s’y connaître » dans son métier…
Pourtant l’artiste et l’artisan ont en commun la production d’une œuvre, ou d'un ouvrage, et dans les deux cas cela nécessite une technique, des procédés et des règles.
D'où la question : peut-on être artiste sans être artisan ?
L'artiste est celui qui réalise une œuvre picturale, musicale ou autre, dans tous les cas une représentation valant pour ses aspects expressifs, symboliques et esthétiques (beauté). L’artiste crée librement en suivant son « inspiration ».
L'artisan est celui qui réalise un ouvrage matériel utile ou décoratif, en appliquant des règles traditionnelles pré-définies mais en y ajoutant sa « touche personnelle » (un style). Le raffinement, l’originalité ou la perfection sont les valeurs généralement attribuées à ce type de production.
Or les deux activités possèdent une racine commune, c’est l’art de faire au sens ancien, la technè grecque. On se demande donc si l’art au sens de création libre peut se passer de toute technique artisanale et de toute règle. La création est-elle oui ou non un travail ? L’artiste peut-il faire n’importe quoi n’importe comment ?
On peut défendre l'idée que si l’artiste n’est pas un artisan, il est libre de faire "comme il veut". L’art est « une création par liberté » (Kant) et donc le règne de l’imagination. L’artisan au contraire et un travailleur, un ouvrier au sens noble du terme, il a une fonction sociale précise (l’artiste non).
Sauf que que l’artiste est aussi, sous certains aspects, un artisan (et réciproquement). La création artistique n’est pas le fruit d’une imagination pure et gratuite : l’artiste transforme concrètement un matériau, cela nécessite un apprentissage et une maîtrise. Le « génie » applique des règles mais il ne le fait pas consciemment. L’artisan lui-même est un artiste, « par éclairs », quand il découvre de nouvelles manières de faire. De plus la beauté fait toujours partie de ses objectifs.
D'une point de vue historique, il faut bien admettre que l’artiste a été autrefois, pleinement, un artisan, mais qu'il ne l'est plus vraiment : désormais les différences l’emportent. L’art a évolué : l’art contemporain a subverti les règles classiques de la création (harmonies, proportion, etc.) et les canons de la beauté. Le ready-made, par exemple, a encore accentué la prise de liberté des artistes. La technique elle-même a évolué : nous sommes passés de l’artisanat individuel à la technologie industrielle.
Donc l’application des règles n’est pas ou n’est plus la caractéristique de l’art. L’art veut conquérir sa liberté (dans la forme comme dans le contenu), c’est pourquoi il est aujourd’hui possible d’être artiste sans être un artisan. On peut malgré tout se demander si l’art ne risque pas de devenir totalement inutile ? L'"art pour l'art", est-ce une posture simplement tenable socialement parlant ? C'est autre champ de problèmes qui s'ouvre alors...
dm
