Le sujet moral et politique. Quelques repères

Politiquement, le terme de sujet apparaît d’abord proche de celui d’esclave ou de “soumis”, par exemple dans l’expression “sujet du Roi”. Cela s’applique à un individu considéré comme assujetti à un souverain, c’est-à-dire dépendant de lui. En retour, il faut préciser quand même que ce souverain ne serait rien sans ses sujets qui jouent ici le rôle de support de la fonction royale : pas de roi sans sujets, pas de gouvernant sans gouvernés, par d’Etat sans population.

Rousseau vient donner une tout autre définition de l’assujettissement politique du sujet. Rappelons qu’il est le théoricien du Contrat social, contrat qui selon lui assujettit ceux qui s‘obligent ainsi librement à respecter une loi qui leur confère des droits mais aussi des devoirs : on parle à ce propos de “sujet de droit”. Le même homme ainsi, selon Rousseau, doit être appelé citoyen comme participant à l’autorité souveraine (du moins en République), et sujet comme soumis aux lois de l’Etat.

De son côté Kant distinguait deux sujets, un sujet transcendantal pur et un sujet empirique (psychologique) constitué par son vécu quotidien. Par cette distinction, l’on retrouve les deux sujets de Rousseau : en effet le sujet empirique n’est rien d’autre qu’assujetti au premier, le vrai sujet de la morale (dit encore sujet “pratique”), auteur des lois et des préceptes qu’il se donne à lui-même (dans un souci d’universalité, cependant). La subjectivité inconstante et faible du second est donc ainsi réglée, dominée par la subjectivité forte et auto-nome du second. Ces deux sujets sont en réalité un seul et même sujet (Subject) du devoir, auteur de ses actes et sommé d’y répondre : ce sujet responsable, on l’appelle une personne. “Une personne est ce sujet, dont les actions sont susceptibles d’imputation” (Kant). Imputer à quelqu’un l’acte qu’il a commis, c’est lui attribuer cet acte comme à un sujet qui en serait la cause.

La position de Kierkeggard est à la fois plus religieuse et plus individualiste que celle de Kant. Elle s’appuie surtout, théoriquement, sur une critique de l’assimilation faite par Hegel entre “être” et “penser”. Pour lui, le sujet, mais au sens de la subjectivité la plus radicale, la plus moïque, la plus individuelle, ne se définit pas par ce qu’il pense mais par ce qu’il garde “en lui” comme un secret : le sujet a un secret (il est ce secret) à tout jamais incommunicable, qui le condamne à une solitude éternelle. Le fond de ce secret est religieux puisqu’il s’appelle tout simplement : le péché. Le péché n’est pas un mauvais acte commis, c’est une faute originelle, définissant la condition humaine, mais reconnaissable seulement au plus profond du moi dans la plus grande des solitudes. Dans ce fond, il ne reste plus que la croyance, non plus en soi, non plus en l’homme, mais en une Solitude et une Subjectivité suprêmes qui s’appelle Dieu.

Lévinas, de son côté, situe le sujet à partir de l’Autre (homme) considéré comme un absolu : c’est ce qu’il repère dans le “Visage” d’autrui où le sujet, le moi, dit Lévinas, se voit ou plutôt se trouve “mis en question”. Il ne s’agit pas d’un sujet moral comme chez Kant puisqu’il n’a pas à obéir à un commandement ou à une loi, mais à répondre à un appel. L’appel de l’Autre. “L’unicité du moi, écrit Lévinas, c’est le fait que personne ne peut répondre à sa place”. Ici, à cette limite, la différence entre sujet et subjectivité se brouille…

dm