Les critiques classiques du freudisme

Nous appelons “critiques classiques du freudisme” les objections les plus courantes qui se sont manifestées dans le courant du XXè siècle à l'encontre de la psychanalyse, qu’elles proviennent des milieux philosophiques ou scientifiques, mais nous n’abordons pas ici les discussions - notamment épistémologiques - les plus contemporaines. Il s’agira ici seulement d’un rappel. Nous exposons rapidement ces critiques et apportons en suivant des contre-objections, du point de vue de la psychanalyse et en faveur du concept de “sujet de l’inconscient”.

1-Les critiques philosophiques

La critique rationaliste : par exemple, Alain

"Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par-là que ce genre d'instinct offrait une riche interprétation. L'homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je ; cette remarque est d'ordre moral. [...] En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient; c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur; et, bien pis, c'est une faute." (Alain, Eléments de philosophie)

Cette critique est essentiellement morale : pour le philosophe dit Alain (Emile Chartier), la théorie de Freud est dangereuse parce qu'elle accorde trop d'importance aux désirs et aux affects. Pour Alain il n'y a aucun intérêt à réveiller la "bête" qui sommeille en nous. Surtout, il n'accepte pas le principe selon lequel "le moi n'est pas maître dans sa propre maison" ! Alain s'en tient à la conception de Descartes selon laquelle l'inconscient, c'est le corps. Il ne saurait y avoir de pensée inconsciente et encore moins de "moi" inconscient". Il y voit un abus de langage, et même une faute morale.

Que répondre ? En réalité, Alain confond l'instinct et les pulsions. Il n'y a strictement aucune "animalité" au niveau de l'inconscient, ni même d'ailleurs au niveau des pulsions, celles-ci étant strictement subjectives et faisant partie de l'histoire du sujet. Dans ce passage, Alain se fait même plus cartésien que Descartes: l'inconscient corporel serait pur mécanisme ! Comment naissent et se développent les pulsions ? C'est Lacan qui vend la mèche : les pulsions obéissent à une causalité d'abord psychique, et même symbolique (via le langage) en ce sens qu’elles se construisent en interaction avec autrui. En effet, contrairement au besoin organique, la pulsion (ou l'"envie") est générée par une demande à l'Autre et donc par un lien symbolique. Par exemple c'est parce que la mère propose le sein, parce qu'il y a demande de part et d'autre, que la pulsion orale existe. La pulsion est le substrat même d'un sujet de l'inconscient, non parce qu'elle serait "physique", mais parce qu'elle est déjà au contraire ciselée par le symbolique (le langage).

La critique existentialiste : par exemple, Sartre

Jean-Paul Sartre critique le freudisme non plus au nom de la raison, mais au nom de l’« existence » et de la liberté. D'une certaine façon cette critique est également morale : évoquer l'inconscient pour expliquer tel ou tel comportement serait une forme de déterminisme, cela reviendrait à nier la liberté et donc la responsabilité. Rappelons que pour Sartre, qui assimile pour ainsi dire la conscience à l'existence humaine, la conscience occupe toute la vie psychique (perceptive, imaginative, intellectuelle…). Ce que Freud appelle l'inconscient, selon Sartre, c'est ce que la conscience ne veut pas se représenter (bien qu'elle se le représente quand même, sinon comment pourrait-elle le refouler ?) : c'est donc typiquement de la mauvaise foi, le mensonge à soi-même, comme à chaque fois qu'on refuse de se tenir pour responsable de ce que l'on est…

Réponse ? - Sur cette question de la responsabilité, Jacques Lacan a répondu implicitement à Sartre en rappelant que "l'inconscient dit toujours la vérité", la vérité du sujet. A partir du Freud de la première topique, il définit clairement l'inconscient comme un langage : "l'inconscient est structuré comme un langage". A chaque fois que l'inconscient se manifeste, par exemple lors d'un lapsus, un acte manqué, un rêve, etc., c'est bien le sujet qui s'exprime et qui trahit la vérité au détriment du "moi" conscient, lequel aurait plutôt tendance à la dissimuler (tant sa tâche de conciliateur l'amène à dissimuler, stratégiquement, la vérité). La tromperie, l'illusion, l'imaginaire sont du côté de la conscience, tandis que la vérité et le réel sont du côté de l'inconscient. L'inconscient dit toujours la vérité, c'est pourquoi il est toujours moral !

2-Les critiques "scientifiques"

La critique “épistémologique” : par exemple, Karl Popper

L'épistémologue allemand Karl Popper reproche à la psychanalyse de se présenter comme une science, alors qu'elle n'en serait pas une. Une vraie théorie scientifique doit obéir au principe de falsifiabilité, autrement dit elle doit admettre qu'une hypothèse n'est pas toujours vérifiée par l'expérience. Il y a toujours des expériences négatives qui confirment finalement le sérieux de l'hypothèse et de la théorie, puisqu'une théorie scientifique, par définition, ne peut pas tout expliquer. Or l'inconscient et la plupart des concepts freudiens, selon Popper, ont plutôt le statut de mythes capables de tout expliquer. Il en va ainsi du complexe d'Œdipe par exemple : pour lui c'est une explication systématique et forcée.

A cela il faut répondre que la psychanalyse freudienne ne prétend pas expliquer, au sens strict, mais essentiellement interpréter, dans les conditions précises – intersubjectives – de la cure. La psychanalyse fait donc partie des sciences humaines, voire des disciplines « herméneutiques » (sciences de l’interprétation, comme la poétique par exemple) et certes aucune de ces sciences ne saurait être dite « exacte ». Evidemment, si l'on s'obstine à séparer la théorie de l'inconscient de la pratique psychanalytique, comme expérience à la fois scientifique et humaine, on ne peut guère prendre au sérieux le freudisme. Or dans la pratique, le psychanalyste ne prétend pas savoir, c'est le patient qui sait, c'est lui qui détient la vérité. Le psychanalyste fournit quelques clefs, il se prête personnellement presque physiquement au transfert, par sa présence, mais c'est au patient d'interpréter la signification de ses symptômes.

La critique psychiatrique

Certains psychiatres formés à la neurologie, ceux dont la formation relève purement de la médecine et non en même temps de la psychopathologie, reprochent à la psychanalyse son manque d'efficacité thérapeutique, ou bien le fait qu’elle ne saurait prouver celle-ci. Ce serait une perte de temps et une perte d'argent ; seule la longueur exagérément longue des cures expliquerait les cas de "guérison", quand ne n'est pas la conversion fréquente du malade au métier de psychanalyste… D'autre part, il existe d'autres méthodes psycho-thérapeutiques, rivales de la psychanalyse, comme la psychologie comportementaliste, voire hypnotique : dans ce dernier cas les résultats positifs semblent plus rapides (mais pas forcément plus durables ni plus réels que ceux des psychanalystes).

Commençons par rappeler, à l'adresse de la psychiatrie, que pendant très longtemps cette science n'a pas su qualifier les malades mentaux autrement que comme des "dégénérés", ou bien des "simulateurs" (pour les hystériques)... D'autre part, depuis quand la psychiatrie médicale elle-même soigne-t-elle les malades dits “mentaux” ? Les traitements médicamenteux ne font qu'apaiser, calmer les crises d'angoisse, rééquilibrer le comportement, mais en occasionnant une accoutumance à vie et en aucun cas ils ne remplacent une psychothérapie qui seule prendra en charge la dimension psychique du problème. Il suffira donc de rappeler que, si la psychanalyse ne guérit pas davantage les « maladies mentales », au moins elle tente de soigner les patients en les traitant comme des sujets

Enfin il faut rappeler que la plupart des méthodes thérapeutiques rivales de la psychanalyse, quand elles se présentent réellement comme psycho-thérapeutiques, sont redevables au freudisme de cette révolution qui a consisté à prendre au sérieux la parole du patient. 

dm