Est-il vrai que l’homme est un loup pour l’homme ?

 


C’est un fait que le crime et la violence persistent autour de nous.  Certaines formules proverbiales présentent l’homme comme un prédateur redoutable. Ainsi : "homo homini lupus" de l'auteur latin Plaute (IIe siècle av. J. -C.), formule reprise par Hobbes et bien d'autres avant lui.

« L’homme » – Il est difficile de proposer une « définition » non réductrice de l’être humain. L’homme est une créature douée de raison… capable de déraisonner, et un être « sociable »… capable de tuer son prochain ! Bref, l’homme outrepasse toujours les définitions qu’il peut donner de lui-même. 

« Le loup » – On a toujours associé le loup au « méchant »… et au « gourmand » ; le christianisme en fit même une image du Diable. C’est bien connu, le loup « dévore » les petits enfants, surtout s’ils ne sont pas sages. La méchanceté est une volonté de nuire qui s’accompagne de violence ou de cruauté. Dans l’imagerie populaire, le loup n’est pas seulement un prédateur : il se délecte de l’effroi qu’il peut causer (il « ricane »).

« Pour l’homme » - On nous demande de confirmer ou d’infirmer (est-il vrai ?) un présupposé peut-être faux : à savoir que l’homme serait un prédateur et/ou un méchant « pour » l’homme, ce qui peut signifier aussi bien envers lui-même qu’envers autrui.

Autrement dit la violence et la méchanceté sont-elles naturelles à l’homme ou bien sont-elles un effet pervers de la civilisation qu’il serait possible de corriger ? L’homme est-il méchant comme un loup ou est-il devenu un être plus méchant que le loup lui-même ?


L’homme est-il l’ennemi de lui-même ? Comment expliquer l’agressivité et la méchanceté qui habite l’homme au plus profond de lui ? Et comment se manifestent-elles socialement  

La phrase « l’homme est un loup pour l’homme » s’applique, pour Hobbes, à « l’état de nature », soit la sauvagerie primitive où règne la « guerre de tous contre tous ». Tout étranger y est considéré comme un ennemi. La solution ? Un Etat fort, car “mieux vaut subir la tyrannie d’un seul plutôt que de risquer la violence de tous “.  

L’agressivité est un phénomène naturel chez l’animal et l’homme, amplifié chez celui-ci par la présence d’une pulsion de mort inconsciente et auto-destructrice (selon Freud). L’homme est l’être qui peut chercher à se détruire, consciemment ou non. Freud : “L’homme n’est pas cet être débonnaire…  etc.” 

La rivalité et la jalousie en sont des conséquences. Leurs formes sociales sont multiples : elles consistent toujours à exclure l’Autre après l’avoir considéré comme un intrus : le bannissement, la xénophobie ordinaire…

L’Homme est d’abord un étranger pour son semblable, un inconnu qu’il faut maîtriser et parfois utiliser pour parvenir à ses fins égocentriques. C’est en ce sens que l’homme est un prédateur pour l’homme.

 

Mais si l’homme est d’abord un être sociable, ne faut-il pas attribuer à la société et à la civilisation les causes d’une telle violence ?

Selon Rousseau l’homme est bon par nature, il a été perverti (dénaturé) par la civilisation qui a créé les inégalités. A l’origine, les hommes étaient peut-être sauvages et brutaux, mais certainement pas « méchants » : l’ignorance était la cause de tous les maux. La preuve : l’homme éprouve naturellement la pitié.

Hegel montre que le désir de reconnaissance passe par une phase de domination et d’objectivation d’autrui, avant que celui-ci ne soit reconnu à son tour comme une conscience. Et la « dialectique du Maître et de l’esclave » illustre l’utilité historique des conflits.

Si la raison des conflits vient des relations entre les hommes et non de l’homme lui-même, la solution doit venir également d’Autrui : l’altruisme n’est peut-être pas naturel, mais il peut s’apprendre. L’« Amour universel » peut être conçu rationnellement comme une « religion de l’Humanité » selon Auguste Comte.

Bref l’homme n’est ni animal ni naturellement méchant. Toute la violence dont il est capable s’explique historiquement et socialement. L’émancipation morale et politique est donc la solution du problème.

 

Le loup – qui n’est pas si méchant – mérite-t-il de symboliser les mauvais penchants de l’homme ? Comment faire pour que l’homme soit enfin un homme pour l’homme ? 

Si l’homme est un loup pour l’homme, le loup en revanche n’est pas un loup pour le loup ; c-a-d que si le loup est un prédateur, il est bien moins méchant que l’homme puisqu’au moins il ne tue pas ses congénères. 

L’homme préfère se comparer à un loup plutôt que de se regarder en face. Il projette sur le loup, ou sur quiconque (l’Autre, l’Étranger) ses propres défauts, et se dispense ainsi d’y remédier. (Cf. le film « Le pacte des loups » : des meurtres maquillés en massacres attribués à la « bête ». )

Alors qu’est-ce qu’un homme ? Avant tout un Étranger c-a-d un être qui ne se réduit pas à l’existence naturelle (brutale mais « normale ») ni même à l’existence sociale (tour à tour violente et paisible), un être Étranger à toute existence établie. Chez F. Laruelle, l’expression « l’homme-en-personne » exprime cette non-définition de l’homme. 

L’homme a une spécificité (ni naturelle ni sociale) : l’étrangeté. En tant que Prochain, paradoxalement, tout homme est un Étranger pour un autre homme. L’étrangeté et l’altérité sont les conditions du respect (aussi bien pour les droits de l’animal).

 

L’homme est d’abord considéré comme un étranger-ennemi qui déchaîne toutes les violences, puis comme un être sociable et altruiste en voie d’émancipation. Mais la méchanceté (et pas seulement la rivalité) caractérise l’homme (et non le loup) lorsqu’il ne respecte par l’Autre comme Étranger. L’homme est un loup pour l’homme au sens où il a inventé une figure du loup à son image : celle du criminel. Non seulement l’homme est un loup pour l’homme, mais il est un loup pour le loup… 

« Être un loup pour l’homme » serait une formule flatteuse si le loup devenait le symbole du respect de l’Autre et de la vie en général.

dm