1) Définitions de la Nature
Évoquons mais relativisons d'emblée la représentation naïve et immédiate de la nature comme "paysage", "campagne", "végétation"… La vie, le vivant, l’environnement en général… La nature extérieure. C’est bien sûr ce que l’on vise d’abord en disant qu’on “aime la nature”. Mais lorsque l’on parle de quelqu’un de “nature” ou de “naturel” on évoque alors sa simplicité, son authenticité. Ou encore lorsque l’on évoque la “nature complexe” d’un caractère, ou la “nature profonde” d’une chose, c’est plutôt l’essence de cette chose que l’on vise, les caractéristiques propres qui définissent un être. Donc nous distinguerons schématiquement deux usages du mot nature : d’abord “la nature en général” (la réalité du vivant), ensuite “la nature propre d’une chose” (une façon d’appliquer à toute chose cette idée de nature). Il est donc clair que si la nature est une réalité, pour la philosophie elle est avant tout une Idée, à formuler et à préciser.
a) La nature en général ou le vivant
Étymologiquement, le mot nature combine les idées de naissance ("natura" en latin), de production et de croissance ("phusis" en grec), d’organisation et d’ordre (“cosmos” en grec). Or ces caractéristiques s’appliquent essentiellement au phénomène de la vie, au vivant.
Quelles sont alors les principales caractéristiques de la vie, telles qu’on peut les déduire intuitivement ?
1° La génération. — Dans « nature », il y a d’abord naissance, nativité, comme en témoigne l’étymologie latine : natura. D’où l’idée ancienne et intuitive d’une nature comme “puissance créatrice”, qui conçoit, engendre et anime tout ce qui existe.
2° La croissance. — Phusis en grec signifie proprement “croître”. Ce qui est créé, ou plutôt généré par la nature, est appelé à croître, à se développer. Et donc aussi à décroître.
3° L’ambivalence ou l’alternance. — La nature vivante se caractérise par son ambivalence, c’est-à-dire une alternance fondamentale de la vie et de la mort. En effet ses manifestations sont toujours doubles : vitales et mortelles à la fois. Tout ce qui génère dégénère, tout ce qui est généré va être dégénéré, dégradé. C’est cela l’ambivalence — la cruauté, dans un sens — de la nature : la présence de la mort dans la vie.
4° La reproduction. — Donc tout ce qui vit est appelé à mourir mais aussi à renaître, en se reproduisant. C’est là ce qui signe la particularité du vivant, comme une sorte d’autonomie ou de début de “liberté” (par rapport au minéral).
5° Les cycles. — L’alternance de la vie et de la mort, mais aussi la reproduction, sont-elles régulières et prévisibles ? En effet, il s’agit d’une régularité cyclique. La nature procède (c’est-à-dire génère/dégénère) par cycles, par périodes, qui sont des périodes de vie et de mort, de chaud et de froid : comme l’hiver et l’été, le jour et la nuit, etc.
6° L’ordre. — Or ce caractère cyclique de la vie nous amène déjà à une certaine notion d’ordre, ou de lois (les lois de la nature) qui représentent le contraire même du hasard. C’est ce qu’indiquait précisément le terme grec de cosmos.
b) La nature propre (le naturel, le normal, l’essence)
1° Le naturel. — L’un des sens dominants du mot “nature” est sans doute celui-ci : la Nature, c'est d'abord l'ensemble des choses physiques et vivantes qui existent indépendamment de l’homme, non fabriquées par l’homme ou abstraction faite des transformations que l'homme y a produites. Cela désigne bien encore le vivant, mais sous une condition. Une table même en bois, fabriquée par l’homme, n’est pas naturelle. Certes cela inclut le vivant, mais le terme de “naturel”, plus abstrait que celui de “nature”, s’applique (c’est un qualificatif, pas un substantif) par extension et par généralisation à une multitude de choses, de comportements, de façons d’être.
Et c’est aussi la première façon d’envisager la “nature des choses” : l’assimiler globalement au “naturel”. En effet la nature d’une chose, c’est d’abord cette chose à l’”état naturel”, c’est à-dire dans son état le plus ordinaire, le plus simple. Exemple : des fraises au naturel, sans sucre... Simple s’accorde plutôt avec élémentaire, et s’oppose à complexe ; ordinaire s’accorde avec commun, et s’oppose à exception. Le concept philosophique adéquat pour rassembler ces différents sens est celui d’immanence : est naturel ce qui est “en soi”, ce qui est évident (le contraire d’immanence est « transcendance », ce qui traverse, dépasse sa condition, s’élève, et le contraire d’en-soi est « pour-soi », synonyme de choix et de liberté). — Chez l’homme en particulier, il s’agit de l’inné, l’instinctif, le spontané, par opposition à l’acquis, à la réflexion, au calcul. Le naturel se définit comme le contraire de l’artificiel et du maquillé. Être naturel, c’est donc laisser paraître, laisser voir sa vraie nature.
Ce premier niveau de réflexion peut être qualifié d’”empirique” : il décrit les choses telles qu’elles nous apparaissent spontanément. Mais l’on en perçoit tout de suite les limites : n’est-ce pas illusoire de prétendre connaître le “naturel”, le “simple” ? La simplicité elle-même ne peut-elle pas être affectée, simulée, ou même conventionnelle (ce qui est paradoxal) : se promener dans le “plus simple appareil” (tout nu) - le naturisme - rend-il vraiment les choses plus « simples » dans les rapports humains ?
2° Le normal. — Le naturel est aussi le “normal”. Qu’est-ce qu’une norme ? Qu’est-ce qui est normal ?
D’abord, sans doute, rien d’autre que ce que nous appelons les « lois de la nature » (physiques et biologiques), lesquelles définissent des phénomènes constants (par opposition aux « accidents de la nature » comme dit). Pour nous, il est donc normal qu’un individu humain naisse avec deux oreilles : si, par mégarde, il en a trois, il est anormal, il est monstrueux.
Mais par extension la « loi naturelle » peut prendre aussi un sens moral : nous disons qu’il est naturel, normal, ou encore moral (= bien) de se conduire de telle ou telle manière (il est normal que les enfants obéissent aux parents, etc.) parce que cela serait conforme à la « nature des choses ». Ce qu’il est naturel de faire, normalement alors on doit le faire pour bien se comporter (moralement). Le contraire n’est plus la monstruosité mais la déviation, la perversion ou même le crime : commettre des actes contre-nature.
Dans les faits nous avons tendance à trouver « normal » tout ce que à quoi nous sommes accoutumés, les objets et événements tels qu’ils se présentent habituellement à nous… Les habitudes seraient-elles l’origine du normal ? Mais dans ce cas, aucune règle, aucune loi, aucune morale ne pourrait être prise au sérieux puisque nous pourrions aussi bien nous habituer au pire.
Enfin, reste l’hypothèse suivante : serait normal seulement ce qui est conforme aux règles que nous, humains, avons décrétées, dans le cadre d’une société et d’une culture donnée. Cela nous éloigne évidemment des fameuses « lois de la nature »…
Nous voyons bien que la détermination du “normal”, en ce qui concerne l’être humain, s’avère problématique et très relative, étant donné que ce qui constitue l’être humain en tant qu’espèce et en tant qu’individu, c’est l’appartenance à une culture, laquelle détermine en grande partie ce qui est “naturel” et “normal” pour un groupe donné… Et si toutes ces choses qui nous paraissent « naturelles » et « normales » n’étaient que pures conventions ?
3° L’essence. — Enfin la “nature propre” d’une chose, c’est avant tout son essence, soit ce qui la définit, l’ensemble de ses caractéristiques spécifiques. Son “être-même”, sa nécessité, ce qui ne changera jamais. L’essence est donc avant tout une question de définition… mais ce sont les hommes qui donnent les définitions. Alors y a-t-il des essences réelles ? Cette notion de “nature” comme “essence” est très complexe car elle voisine par exemple avec les notions d’origine (authenticité), de vérité, de finalité (ce vers quoi tend un être)... L’homme possède-t-il une essence fixe, ou bien est-il entièrement libre d’évoluer ? L’essence ne serait-elle pas une prison ? Pourtant Spinoza écrivait : “J’appelle libre une chose qui est et qui agit par la seule nécessité de sa nature”...
2) Les différentes représentations de la Nature en général (historique)
a) Les représentations religieuses et néo-religieuses de la nature
Dans ses représentations primitives, la nature a d'abord été vue comme une sorte de divinité, une puissance créatrice. L'animisme, le paganisme, le panthéisme... tous ces termes offrent à des titres divers une vision globale de la nature comme puissance.
1° L’animisme. — Avant qu’elle ne soit perçue sous son mode cyclique (ce qui correspond déjà à une organisation, donc à une justice), l’ambivalence de la nature est perçue par les premiers hommes (ou tout homme à son premier âge : l’enfance) comme puissance pure. Non seulement la nature est ambivalente — c’est-à-dire qu’on ne sait jamais ce qu’elle veut —, mais en outre elle est arbitraire — on ne sait jamais pourquoi elle le veut : ses décisions sont imprévisibles, on ne peut que les redouter, les craindre, et finalement les vénérer. L’”animisme” est cette mentalité (superstitieuse plus que religieuse) qui consiste à voir dans les éléments naturels, ou certains d’entre eux, une force supérieure et arbitraire, parfois appelée le “mana” (Polynésie). Pour simplifier, c’est la croyance aux “esprits” qui animent les êtres et les choses, les animaux comme les végétaux, croyance qui prête à ces esprits des intentions, bonnes ou mauvaises. Paradoxalement cette représentation de la “nature” conduit à croire au “surnaturel”. Ainsi c’est l’”esprit” du vent qui fait souffler le vent, l’”esprit” de (ou dans) l’arbre qui a fait tomber l’arbre, etc. — Une façon plus élaborée pour les hommes d’apprivoiser ces éléments, ces esprits, consiste à se laisser investir par eux et leur pouvoir, c’est le principe de la “magie” : ainsi on devient l’”esprit de l’aigle”, l’”esprit du tigre”, etc. et l’on acquiert ses qualités...
2° Le paganisme (polythéisme). — Lorsque l’ambivalence - et donc le caractère potentiellement dangereux de la nature - est enfin perçue comme cyclique, un minimum d’ordre apparaît dans le monde, ce qui a pour effet de réduire l’arbitraire et l’anarchie des mouvements divins. On peut désormais rassembler les phénomènes naturels sous un certain nombre de lois, définissant des mouvements cycliques, des rythmes réguliers, que les hommes peuvent constater et observer eux-mêmes surtout à partir du moment où ils pratiquent l’agriculture. Le polythéisme consiste à diviniser ces grands éléments et ces grands principes de la nature, en les personnifiant, en les humanisant (la terre, le soleil, la mer, la guerre, l’amour... : cf le panthéon des dieux grecs ou romains). Les dieux du paganisme, c’est-à-dire païens, sont donc nécessairement moins nombreux que les dieux ou plutôt les “esprits” de l’animisme, potentiellement infinis.
3° La conception chrétienne (monothéisme). — Pour le christianisme, la nature n’est plus créatrice puisqu’elle s’assimile au contraire à la création, la chose créée, c’est-à-dire tout ce qui existe, par opposition justement au créateur (Dieu). En tant que création, son aspect positif réside dans l’empreinte qu’aura laissée en elle son créateur, à savoir les lois mêmes de la nature : cet aspect sera étudié plus loin. Son aspect négatif réside dans le fait qu’elle incarne aussi la vie bouillonnante, les instincts et les pulsions que le christianisme assimile volontiers au « péché ». Dans le récit chrétien, après la « chute » (péché originel) la belle harmonie entre les hommes et la nature a disparu, et le mal (Satan) se dissimule volontiers dans la nature elle-même… dénaturée. Nietzsche (19è s.) accusera violemment le christianisme d’être une négation de la vie, et fera du prêtre le “mort-vivant” par excellence !
4° Le panthéisme. — Une autre conception voit le jour au 16è s., qui pour une part semble revenir au paganisme, mais d’autre part hérite de la bipartition chrétienne ; par ailleurs il s’agit très nettement d’une philosophie, une philosophie “mystique” teintée parfois d’ésotérisme, mais non plus d’une religion. Comme l’indique le préfixe “pan” qui veut dire “tout”, hérité du dieu “Pan” (dieu la nature sauvage, entre autres), et par ailleurs le terme “théo” (dieu), le panthéisme consiste à affirmer que Dieu est dans toute chose naturelle, et que toute chose naturelle est Dieu. Pour Jacob Bœhme, par exemple, penseur allemand du 16è s., la nature est considérée comme tout ce qui existe, mais aussi comme le Tout divin : il n’existe rien de transcendant ou de supérieur à elle. Cependant (ce qui prouve l’influence du christianisme), il distingue deux grands principes : le principe créateur (appelé “nature naturante”) et le principe de ce qui est créé (“nature naturée”). Le terme de création n’ayant pas ici le même sens que pour un chrétien, puisque ces deux principes restent rigoureusement immanents (propres) à la nature, assimilée à Dieu Cette conception sera reprise en partie par Spinoza, grand philosophe du 17è siècle.
5° Le dionysisme. — Dionysos en Grèce (l’équivalent de Bacchus chez les romains) était le dieu de l’ivresse, mais il donnait lieu à un culte qui dépassait, par sa signification mystique, cette simple particularité. Le “dionysiaque” doit se comprendre, dans toute son étendue, comme une identification avec le principe de l’extase et de la vie ; il s’oppose à “apollinien”, symbole de la beauté immobile. Friedrich Nietzsche, au 19è s. reprendra le “flambeau” de Dionysos, auquel il prêtera sa philosophie de la vie comme pulsion, force créatrice. “Expériences psychologiques fondamentales : le mot d’”apollinisme” désigne la contemplation extasiée d’un monde d’imagination et de rêve, du monde de la “belle apparence” qui nous délivre du devenir ; le “dionysisme”, d’autre part, conçoit activement le devenir, le ressent subjectivement comme la volupté furieuse du créateur, mêlée au courroux du destructeur” (La volonté de puissance). Par ailleurs, Nietzsche emploie les termes suivants : “tout ce qui dépasse la personnalité, la réalité quotidienne, la société (...), une affirmation extasiée de l’existence dans son ensemble (...), la grande participation panthéiste à toute joie et à toute peine”. Dans son livre Le crépuscule des idoles, il se montre encore près la source religieuse grecque : “Un oui triomphant à la vie, au-delà de la mort et du changement ; la vraie vie, survie globale par la procréation, par les mystères de la sexualité. (...) c’est l’instinct le plus profond de la vie, celui de l’avenir de la vie, de l’éternité de la vie, qui est la source d’émotions religieuses — la voie qui mène à la vie, la procréation, est la voie sacrée.”
b) Les représentations philosophiques et scientifiques
La philosophie et la science - indissociablement - ont substitué aux représentations religieuses une tout autre vision de la nature : celle-ci devient synonyme d'organisation, d'ordre, d'intelligence - ce sont les fameuses "lois de la nature". Éventuellement elle est aussi la création révélatrice d'une intelligence (divine).
1° L’antiquité (1). — Reprenant et rationalisant la vieille idée de "cosmos" (l'univers conçu comme un monde ordonné et clos), Aristote voit dans la nature un ordre essentiel : à la fois comme l'ensemble des choses qui présentent un ordre, et comme le principe actif et vivant qui ordonne chaque chose, qui lui donne son mouvement, sa forme, et même son lieu. Aristote oppose en ce sens la nature (phusis) au hasard (automaton) ; dans son livre La physique, il recherche plus particulièrement les lois du mouvement, étant entendu que selon lui le monde est mu par un premier “moteur” immobile (équivalent au Dieu des chrétiens). Pour Aristote la nature n’est pas encore cet objet, cette chose que cherche à décrire la science moderne. Elle est un principe : la nature, c’est ce qui fait qu’un être possède en lui-même le principe de son mouvement et de son repos.
2° L’antiquité (2). — Le problème qui se pose ensuite est celui de l’unité de la nature : est-ce que l’ensemble de ses lois confère à la nature une quelconque unité ? Y a-t-il un grand principe et un seul ? Y a-t-il une seule nature ? Pour les philosophes stoïciens (Zénon, Epictète…), la nature est une, elle forme un ordre unitaire, une totalité parfaite, comme une sorte de “grand animal”. Si parfaite que le seul mot d’ordre pour eux est de “vivre en conformité avec la nature”, c’est-à-dire avec ses lois. Finalement, la nature s’assimile à la Raison, laquelle s’assimile à Dieu (celui-ci est plus précisément un « fluide » organisateur – on rejoint une forme de panthéisme).
3° La science moderne (à partir du 17è siècle). — Chez Aristote ou chez les stoïciens, l’unité de la nature se veut organique : il s’agit en fait d’une physique reposant sur des préjugés biologiques. La nature comme un grand corps animal. C’est à une autre conception que nous invitent des savants comme Galilée ou Descartes. L’idée surgit que la nature fonctionne comme une machine, comme une montre où tout est réglé automatiquement :
Galilée (17è) - "La nature est écrite en langage mathématique."
Descartes (17è) – "Sachez donc premièrement, que par la Nature je n'entends point ici quelque déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire, mais que je me sers de ce mot pour signifier la Matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble (…)" Les qualités propres de la matière (ce que Descartes appelle “substance étendue”, par opposition à la “substance pensante”, l’âme) font qu’elle est entièrement mesurable, calculable et analysable. Il n’y a plus seulement de grands principes facilement déductibles comme chez Aristote, il y a des faits à expliquer : tout est soumis à la logique la plus mathématique, tout a une explication. Ce n’est pas incompatible avec le christianisme, au contraire c’en est la conséquence : Dieu est un artisan (démiurge) parfait et la nature se borne à agir selon les lois qu’il a instaurées au départ. C’est à la science (et plus seulement à la philosophie) de les découvrir. — Il va de soi que, dans ces conditions, la nature est plus que jamais objet de connaissance : l’homme n’est même plus “dans” la nature, mais “devant” elle, pour la connaître. Et en révélant la nature comme ordonnée par un Dieu “mathématicien”, du seul fait que l’homme “pense” (cf. le fameux “cogito” de Descartes), le savant adopte en quelque sorte le point de vue de Dieu !
4° Universalité et complexité. — C'est Kant qui, au 18è siècle, fournit de la nature la définition philosophique la plus synthétique et la plus recevable, parce qu'elle intègre les deux aspects initiaux (nature extérieure, nature propre), en même temps qu'elle reprend et modernise l'idée d'"ordre naturel" en lui substituant la notion plus précise et plus conséquente de "loi universelle" : La nature ne connaît pas le chaos ou le hasard, elle se définit par ses lois ou ses constantes. C’est notamment la découverte des lois astronomiques et physiques (Newton) qui permettent d’envisager de telles lois universelles. Kant : "La nature est l'ensemble des choses en tant que gouvernées par des lois universelles". Donc il ne faut surtout pas confondre nature et réalité : la nature est déjà une détermination, une première détermination de la réalité.
Aujourd’hui les scientifiques sont beaucoup plus réservés quant à l’”unité” et même l’”universalité” des lois naturelles. On parle plutôt de complexité et bien sûr, au plan cosmologique, de relativité (Einstein). Soit parce qu’on se rend compte de plus en plus qu’il reste des phénomènes inexpliqués, voire inexplicables ; soit parce que les faits analysés plaident de plus en plus pour une vision “fractale” (et non unitaire) du monde, vision qui met à mal la légendaire “complémentarité” des éléments, et pour finir la mythique “harmonie” universelle.
c) Le spectacle de la Nature ou les représentations artistiques
La nature n’est pas seulement une puissance (religion), une intelligence (science), elle est aussi un spectacle du simple fait qu’elle est visible et représentable. Mais qu’est-ce qui peut ainsi se “donner en spectacle” dans la nature ?
1° La force et l’art antique. — La face visible de la puissance naturelle, c’est sa force, ressentie par les hommes comme violence, et plus particulièrement par les Anciens naturellement terrorisés par elle. Cette peur s’exprime souvent dans des mythes ou dans les récits épiques (ex. : l’Odyssée), faisant appel au merveilleux, avec des prolongements actuels comme dans le cinéma “péplum” (Maciste aux prises avec des bestioles monstrueuses, des rochers énormes dévalant de cratères en feu, etc.), l'heroic fantasy” avec Le Seigneur des Anneaux… Etc. On trouve dans la nature, et donc dans ces représentations imaginaires, une opposition franche entre le beau et le laid, l’originel et le monstrueux (les hobbits / les orcs). L’idée sous-jacente est celle d’une harmonie parfaite (complémentarité, équilibre) qui bien souvent a été rompue et qu’il s’agit de rétablir. - Quant à la force, et même la virilité, elle a longtemps constitué un “canon” avéré de l’art Grec, notamment dans sa statuaire : le critère de la beauté naturelle des corps est, prioritairement, la virilité. C’est surtout le corps masculin, puissant et musclé, qui est représenté.
2° La beauté et l’art moderne : classicisme et romantisme — Au siècle classique, l’on s’intéresse surtout à la beauté (supposée) de la nature. Qu’est-ce que cette beauté ? Le classicisme rejoint la conception cartésienne d’une nature réglée comme une horloge : c’est la symétrie, la proportion, la perfection des formes. Non plus la force, mais la belle forme, donc. La nature y apparaît le plus souvent comme un décor parfait (mais assez peu réaliste, comme dans les peintures de Nicolas Poussin, par ex. Les 4 saisons)
L’art est donc censé représenter, et même imiter les beautés la nature. Mais, comme nous le dit Kant, si l’art peut imiter la nature c’est parce que la nature elle-même se conduit avec art. Exemple : un champ couvert de fleurs peut être plus charmant qu’un bouquet artificiellement formé. Le romantisme (19è) va s’attacher à cette idée d’une nature artiste. Il ne se contente pas d’associer la nature au sentiment amoureux, il va reprendre en outre l’idée ancienne de la force, et même au passage une partie des canons classiques de la beauté, mêlant et surtout intériorisant ces différents éléments dans un sentiment spécifique : celui de grandeur, ou de grandiose. Le romantisme consiste à faire correspondre ce sentiment de la grandeur de la nature avec l’expression des plus hautes passions humaines (voir par ex. le célèbre tableau Voyageur devant une mer de nuage, de Caspar David Friedrich, 1818.
3° L’impressionnisme. - Un mouvement qui se détache de tout académisme pour montrer la beauté éclatante de la nature et surtout pour exprimer les émotions ressenties par le peintre. Les peintres impressionnistes ont tendance à noter les impressions fugitives, la mobilité des phénomènes climatiques et lumineux, plutôt que l'aspect stable et géométrique des choses. Ils peignent par touches de couleur plutôt que par traits. Avec eux la peinture se détache du dessin et se prolonge parfois jusqu’à l’abstraction (voir par ex. le tableau de Claude Monnet, Effet de printemps, 1890).
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